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Syrie - Irak : l’étau se resserre autour de l’EI

L’organisation de l’État islamique perd de plus en plus de terrain en Irak et en Syrie, ses fiefs de Falloujah et Raqqa étant désormais menacés. Le rapport de force dans la région s'est inversé en faveur des ennemis de l'EI. Explications.

Ramadi et Palmyre tombées. Falloujah et Raqqa menacées. Après les villes symboliques, ce sont les fiefs historique et politique de l’organisation de l’État islamique (EI) en Irak et en Syrie qui pourraient tomber.

Surnommée la "tête du serpent", Falloujah reste marquée par les combats de 2004 entre insurgés irakiens et forces américaines. C’est à cette époque et dans cette ville qu’est né l’embryon de l’EI, que son idéologie s’est façonnée, que ce bras de l’extrémisme sunnite a vu le jour. Raqqa est quant à elle considérée comme le "sanctuaire" de l’organisation et comme sa capitale politique, une ville où la répression la plus totale a pu être instaurée.

Ces deux fiefs sont pourtant aujourd’hui attaqués. Depuis la fin 2015, la logique de "containment" adoptée par les adversaires du groupe jihadiste, visait à stopper l'extension de sa zone d'influence, a laissé place à celle du reflux.

"Daech recule et Daech perdra"

"La tendance est clairement à une inversion des rapports de force", affirme Myriam Benraad, chercheuse à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam) et auteure de "Irak, la revanche de l’histoire" (éditions Vendémiaire). "L'organisation est affaiblie. Être attaquée sur plusieurs fronts l’a rendue vulnérable. Elle a beau continuer sa propagande, elle va mal et le moral est atteint."

Entre les pertes de territoires, les sources de revenus qui se tarissent, le flot de recrues étrangères qui diminue nettement et la pression militaire internationale qui s’accentue, l’étau se resserre autour de l’EI. À tel point que le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, n’hésite plus à affirmer que l’organisation sera vaincue : "Daech va être progressivement éliminé. Je reste convaincu que ce sera difficile mais pour la première fois, je dis 'Daech recule et Daech perdra', y compris sur Raqqa", a-t-il ainsi déclaré, vendredi 3 juin, sur la chaîne Public Sénat.

Coordination russo-américaine sur le terrain

Il y a encore quelques mois, pourtant, l’EI enchaînait les conquêtes. L’organisation avait lancé un "blitzkrieg" (guerre éclair) impressionnant et avait alors conquis en Irak et en Syrie, en à peine un an, de grands pans de territoires.

"Les deux années 2014 et 2015 ont été rudes pour les Américains et correspondent à une période de tâtonnement, analyse Myriam Benraad. En Irak, les bombardements étaient insuffisants, l’armée irakienne, quasi-inexistante, avait déserté. Tout cela a fini par changer à partir de la fin 2015 avec l’envoi de forces spéciales américaines au sol, l’intensification des bombardements et la montée en puissance des milices chiites notamment."

"La capitale irakienne, Bagdad, s’est retrouvée menacée donc il y a eu une prise de conscience de la part du pouvoir", ajoute David Rigoulet-Roze, enseignant et chercheur rattaché à l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas) et rédacteur en chef de la revue "Orients Stratégiques". "Il y a alors eu une professionnalisation de l’armée irakienne grâce aux formateurs américains envoyés sur place, des corps ont été spécialement entraînés pour la lutte anti-terroriste, la coordination et la supervision des milices chiites, regroupées dans le Hached al-Chaabi, est devenue plus efficace."

En Syrie, c’est surtout l’entrée en scène de la Russie qui a changé la donne. Engagée dans un premier temps dans la survie du régime de Bachar al-Assad, l’armée russe veut dorénavant aussi détruire l’EI. "Les Russes, comme les Américains, veulent trouver une solution politique à la Syrie, ce qui passe obligatoirement par la liquidation de l’EI, souligne David Rigoulet-Roze. Il y a donc une convergence stratégique et il est intéressant de constater que des contacts très étroits ont été établis pour y parvenir."

La coordination russo-américaine a même franchi une étape avec l’offensive actuelle dans la province de Raqqa. Non déclarée officiellement, il apparaît pourtant évident sur le terrain que Russes et Américains se sont entendus pour que les uns attaquent l’EI dans cette province par le sud-ouest et les autres par le nord, affirment les deux chercheurs.

"Il y a les discours politiques et puis ce qui se décide en coulisses, explique Myriam Benraad. La menace est globale et des discussions très sérieuses entre la Russie et les États-Unis sont engagées sur ce qu’il faut faire de la Syrie. C’est très clair aujourd’hui."

Après la bataille militaire, gagner celle des esprits

Vaincre l’organisation de l’État islamique à Raqqa en Syrie, tout comme à Falloujah ou Mossoul en Irak prendra néanmoins du temps. Jean-Yves Le Drian a évoqué la fin 2016 comme objectif. Et comme ce dernier le souligne dans le livre qu’il vient de publier, "Qui est l’ennemi ?", même si l’EI est battu militairement dans ses fiefs, son idéologie et les raisons qui lui ont permis de prospérer resteront des problèmes à régler.

Le porte-parole de l’organisation jihadiste, Abou Mohamed al-Adnani, a d’ailleurs adapté son message, anticipant les pertes de villes majeures dans un récent message audio : "Américains, vous considérez que c’est une défaite lorsque nous perdons du territoire. Serons-nous vaincus et vous victorieux si vous prenez Mossoul, Raqqa ou Syrte ? Bien sur que non. La défaite, c’est de perdre le goût du combat."

"Il y a une dimension politique, culturelle, idéologique liée à l’EI qui va bien au-delà de l’aspect militaire, souligne David Rigoulet-Roze. Ce qui a fait l’EI localement, avec en priorité la question de la représentativité des sunnites en Irak et en Syrie, ne va pas disparaître."

"Et puis ce sera très difficile d’éradiquer totalement de la région les combattants de l’EI, affirme Myriam Benraad. On voit déjà qu’ils ont relancé une offensive sur Ramadi et sur Hit. Malgré leur affaiblissement certain, ils sont capables d’être mobiles sur le terrain et de répondre aux défaites en lançant d’autres offensives ailleurs. Vaincre pour de bon l’EI sera un processus de long terme."