
En 2015, au Salvador, plus d'un habitant sur 1 000 a été tué. Des chiffres dignes d’un pays en guerre. L’immense majorité de ces victimes sont de jeunes hommes, membres des Maras, ces gangs d’Amérique centrale qui font la loi dans les quartiers. Nos reporters Laurence Cuvillier et Matthieu Comin sont allés à leur rencontre.
"Maras". Au Salvador, ce nom est synonyme de violence extrême. Ces gangs de jeunes sanguinaires ont fait de ce petit pays d'Amérique centrale l'un des plus violents du monde. En 2015, il y a eu 70 % d'homicides de plus qu'en 2014 : 6 650 habitants sont morts sur une population qui n'en compte que 6,4 millions.
Enrôlés de gré ou de force, les jeunes Salvadoriens perçoivent souvent la Mara comme la seule façon de "devenir quelqu’un". Ces gangs, qui ont prospéré à la fin de la guerre civile au Salvador, au début des années 1990, sèment la terreur, jusqu'à devenir une autorité parallèle. Ils contrôlent les quartiers, tiennent en respect la police et le monde politique, qui hésite désormais à les affronter ou négocier.
Au Salvador, une personne sur dix travaille directement ou indirectement pour elles. Elles ont acquis un poids politique tel qu'il est envisageable qu'elles forment bientôt leur propre parti. Ces groupes criminels sont même courtisés par les partis traditionnels, qui ont besoin de leur appui pour remporter les élections dans certaines villes. Face à un État en déliquescence et impuissant à endiguer cette violence, les Maras sont en passe de devenir les véritables propriétaires du pays.
L’un de ces gangs, la Mara 18, dispose même d’un porte-parole, qui se fait appeler Santiago, un jeune homme taiseux, au regard dur et perçant. S’asseoir à sa table pour gagner sa confiance est un moment particulièrement déstabilisant. Il nous assure que nous pouvons lui poser toutes les questions que nous souhaitons, mais réclame des honoraires en contrepartie. Les Mareros sont abordables… si l’on se plie à leurs règles.
Si Santiago nous déclare qu’il est encore actif au sein de la Mara, il ne révèle pas de quelle manière. Le jeune gangster assure que "la 18" est du côté des pauvres et des laissés-pour-compte, bien que les plus démunis soient rackettés par ses troupes partout dans le pays...
Que s'est-il passé ? Plusieurs raisons : la fin d'une trêve, signée en 2012 entre les deux Maras qui dominent le pays, la "MS" et "la 18", la main de fer d'un nouveau président, qui a rompu le dialogue entamé par son prédécesseur avec ces groupes criminels et les fait désormais condamner pour terrorisme, enfin, de nouvelles stratégies des Maras, qui n'hésitent plus à faire exploser des voitures piégées devant les commissariats. Malgré cela, les assassinats, les extorsions et les menaces, les Maras continuent leur chemin inexorable vers la reconnaissance et l'intégration.