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Appelé à ouvrir le Festival de Cannes pour la troisième fois de sa carrière, Woody Allen livre avec "Café Society" un conte moral sans grande surprise. Une mise en bouche toutefois plaisante avant la compétition qui s'annonce sombre.

Woody Allen le dit à longueur d’interviews : il adore la pluie. Cela tombe bien puisque c’est sous une averse que son "Café Society" doit officiellement ouvrir, dans la soirée du mercredi 11 mai, le 69e Festival de Cannes. Malheureusement pour lui, on craint que les précipitations restent faibles et éparses. Un peu comme les applaudissements que les journalistes ont réservés au film, plus tôt dans la matinée.

Restons rassurants, le film présenté hors compétition n’est en rien décevant mais disons qu’il n’a rien de surprenant. Comme on pouvait s'y attendre, "Café Society" est drôle et léger mais se révèle également profond (parfois) et mélancolique (surtout). Du Woody Allen pur jus, donc. Et comme le dit un adage populaire au sein de la critique : "Un Woody Allen même mineur reste un Woody Allen". En clair, en matière de prévisibilité, mieux vaut avoir affaire à lui qu’à un réalisateur quelconque.

De fait, le cinéaste new-yorkais fait preuve d’une certaine constance dans la voie qu’il s’est tracée depuis "Minuit à Paris" (lui aussi film d’ouverture du Festival en 2011) : celle du conte moral doux-amer pour ne pas dire résigné. Avec son dernier opus, il offre ainsi une énième variation de ses thèmes de prédilection que sont le triangle amoureux et l’impossibilité de forcer le destin ("les rêves restent les rêves", comme on peut l’entendre dans le film).

Savoureux et nonchalant

Faire des choix et pas forcément les bons. Voilà donc la grande affaire de "Café Society". Nous sommes dans l’Amérique des années 1930. Le jeune Bobby Dorfman (campé par un réjouissant Jesse Eisenberg) quitte le domicile parental new-yorkais pour rejoindre Hollywood. Embauché comme coursier dans la florissante agence d’acteurs de son oncle Phil (Steve Carrel), le jeune homme va s’éprendre de la secrétaire de celui-ci (Kristen Stewart, dont c’est ici la première apparition chez Woody Allen, voir l'interview plus bas). Vonnie – c’est son nom – est belle, intelligente et différente de ces créatures superficielles qui peuplent Los Angeles. La demoiselle est en tout point parfaite si ce n’est que son cœur est déjà pris… par l’oncle Phil. Finalement éconduit et souffrant d’un sérieux mal du pays, Bobby repart à Manhattan pour ouvrir un night-club mondain avec l’aide sonnante et trébuchante de son peu recommandable de frère Ben (Corey Stoll, qu’on peine à reconnaître sous sa perruque).

Sur ce canevas, Woody Allen tresse ses sempiternelles obsessions d’auteur (l’amour, la mort, la providence) et ses savoureux dialogues d’humoriste (la famille, le sexe, la religion). On ressent le plaisir qu’il a de revenir au New York d’avant-guerre qu’il ne connaît que trop bien pour y avoir grandi. En cela, le portrait amoureux qu’il dresse de la famille Dorfman constitue la facette la plus attendrissante du film (les engueulades des parents sont particulièrement piquantes). Davantage en tout cas que la trame amoureuse, dont le traitement souffre souvent de nonchalance.

Avec tout le respect qu’on doit à l’excellent Steve Carell, on ne peut que constater que sa bonhommie de Monsieur Tout-le-monde sied fort mal à son personnage de vieux séducteur à qui tout réussi. Bruce Willis, à qui le rôle était dévolu, aurait certainement été plus convaincant s’il n’avait planté Woody Allen après une semaine de tournage. Tout aussi malheureux : le fossé entre le caractère inconstant de Vonnie et le côté sauvage de son interprète, Kristen Stewart, qui ressemble à une grande ado obligée de porter des robes de petites filles. Décalage qui semble trahir, chez l’ancienne star de la saga "Twilight", une difficulté à se fondre dans le cinéma de l’octogénaire.

"Café Society" n’en reste pas moins un film taillé pour l’ouverture du Festival. Un amuse-bouche sucré-salé qu’on savoure sans déplaisir avant de passer aux réjouissances de la compétition. Les hostilités débutent avec deux long-métrages dont la tonalité s’annonce moins badine. Dans "Sieranevada", le Roumain Cristi Puiu parlera de deuil familial, tandis que dans "Rester vertical", le Français Alain Guiraudie suivra le parcours initiatique d’un jeune marginal abandonné par la mère de son enfant. Le moral ne risque pas d’être au beau fixe. Mais on aimerait bien que le soleil le soit. N’en déplaise à Woody Allen.

Retrouvez l'interview de Kristen Stewart sur France 24 :