Deux journalistes turcs ont été condamnés à deux ans de prison pour avoir reproduit la caricature de Mahomet diffusée par Charlie Hebdo après l'attentat du 7 janvier 2015 contre le journal satirique à Paris.
La sentence est tombée. La justice turque a condamné jeudi 28 avril deux journalistes à deux ans de prison pour blasphème. Hikmet Cetinkaya et Ceyda Karan, éditorialistes de renom du quotidien Cumhurriyet avaient reproduit en janvier 2015 un dessin de Mahomet, initialement paru en une de Charlie Hebdo, en solidarité avec la revue satirique française attaquée par des jihadistes. Leur avocat, Bülent Utku, a annoncé, qu'il allait faire appel.
Cumhuriyet, farouche opposant du régime islamo-conservateur du président Recep Tayyip Erdogan, était le seul journal du monde musulman, et l'une des cinq publications internationales, à avoir reproduit des extraits des caricatures publiées par Charlie Hebdo.
Une vraie prise de risque dans un pays à 99 % musulman, dirigé depuis 2002 par l'AKP, le parti du président Erdogan, accusé de dérive autoritaire et de museler la presse. Dès le lendemain, la justice ouvrait une information judiciaire contre les deux éditorialistes et interdisait sur le web l'éditorial illustré. Le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu avait alors qualifié la décision de Cumhuriyet de "grave provocation". Les deux journalistes étaient accusés "d'incitation à la haine" et "d'insultes aux valeurs religieuses".
Le dessin représente le prophète Mahomet la larme à l'oeil et tenant une pancarte "Je suis Charlie", le slogan des manifestants qui ont défilé en France et à l'étranger pour condamner les attaques jihadistes qui ont fait 17 morts à Paris et décimé la rédaction de la revue satirique.
Les plaignants, de simples citoyens qui se sont dits offusqués par un "blasphème", ont crié "Allah Akbar" dans la salle d'audience à l'annonce du verdict, selon les médias locaux.
Cumhurriyet dans la ligne de mire du gouvernement turc
De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer cette condamnation qui vient s'ajouter à une série d'atteintes à la liberté de la presse en Turquie, notamment sur les réseaux sociaux.
Death of secularism in Turkey: journos Ceyda Karan+Hikmet Cetinkaya receive 2 yrs prison for reprinting Charlie Hebdo cover in their columns
— Sezin Öney (@SezinOney) 28 avril 2016"Que cette condamnation à deux ans d'emprisonnement soit un cadeau à nos fascistes libéraux", en référence aux tenants du pouvoir en Turquie, a lancé Ceyda Karan, l'une des deux condamnés, sur son compte Twitter après la décision des juges.
"Grand coup porté contre la liberté d'expression et de la presse", a dénoncé Cumhuriyet, l'un des plus anciens quotidiens de Turquie et fervent défenseur de la laïcité, sur son site Internet. Véritable institution en Turquie, le quotidien est peu à peu devenu la bête noire de l'homme fort du pays. Le journal a fait l'objet ces dernières années de nombreux procès et a été la cible d'attentats. Plusieurs de ses journalistes ont été emprisonnés.
Son rédacteur en chef Can Dündar et son chef de bureau à Ankara Erdem Gül sont actuellement jugés pour espionnage après avoir passé trois mois en prison pour avoir diffusé un article faisant état de livraisons d'armes par les services secrets turcs à des rebelles islamistes en Syrie, ce que le régime turc dément.
La Turquie est régulièrement épinglée pour ses atteintes à la liberté d'expression et le climat de travail s'est considérablement dégradé pour les journalistes, menacés de poursuites judiciaires et de prison. La Turquie a en outre interdit ces derniers temps à plusieurs journalistes étrangers d'entrer ou de travailler dans le pays.
Avec AFP