
Le Boston Globe, qui a publié samedi une fausse une avec Donald Trump en président, marque un tournant dans la couverture médiatique du candidat républicain. Après l’avoir mis en avant, les journalistes veulent désormais lui bloquer la route.
Prendre Donald Trump au mot. C'est l'idée du Boston Globe qui a publié ce week-end sur son site une fausse une datée du 9 avril 2017 imaginant l'actualité si le candidat républicain accédait à la Maison Blanche. Les articles inspirés directement de ses discours corrosifs et autres déclarations fracassantes illustrent sa vision de l'avenir des États-Unis. "Les expulsions vont commencer", "Les émeutes continuent", "Des soldats américains refusent l'ordre d'exécuter des familles de membres de l'EI", peut-on lire en titres.
Cette une choc est accompagnée d'un - vrai - éditorial intitulé "Le parti républicain doit arrêter Trump". "Sa vision de l’Amérique promet d’être aussi épouvantable dans la vraie vie qu’en noir et blanc sur cette page", prévient le texte, qui dénonce cette position "profondément dérangeante". Le quotidien basé à Boston exhorte les républicains à "agir de la manière la plus sensée : mettre tous les obstacles légitimes possibles sur la route de Trump".
Cette technique de politique-fiction employée par le quotidien de Boston s'inscrit comme "un nouvel angle d'attaque contre le phénomène Donald Trump", estime la spécialiste des États-Unis, Nicole Bacharan, jointe par France 24. Depuis plusieurs mois, journaux, télévisions et radios ont pris conscience de leur responsabilité dans l'ascension de la candidature du milliardaire new-yorkais. "Cette fois-ci, ils vont plus loin en dénonçant sa politique", ajoute-t-elle.
"Les médias ont joué avec le feu"
Depuis le début de la campagne de Donald Trump en juin dernier, "les médias ont joué avec le feu car ils n'ont pas pris sa candidature au sérieux, estime-t-elle. Même s'il était en tête des sondages, il n'était pas jugé crédible aux yeux de nombreux journalistes". Tellement peu légitime que le Huffington Post a couvert pendant un temps la campagne du trublion médiatique dans la rubrique "Divertissement".
Soumises à la pression des audiences, beaucoup de rédactions se sont, elles, amusées à rapporter les propos provocateurs ou déplacés contre les Mexicains, les musulmans, les Afro-Américains du "candidat-clown". "C'est la première fois qu'une campagne présidentielle s'apparentait à un tel cirque", poursuit Nicolas Bacharan.
Omniprésent dans les médias, Donald Trump s'est progressivement imposé dans les sondages comme le favori de l'investiture républicaine. "Les medias lui ont accordé trop d’importance, note-t-elle. Ils sont tombés dans le piège de sa stratégie de télé-réalité".
Face à cette candidature devenant de plus en plus sérieuse, le président Barack Obama a également dénoncé le rôle des chaînes d’information qui rapportent le moindre fait et geste de ce candidat trublion : "Bien faire son travail, c’est faire un peu plus que tendre le micro à quelqu’un, a-t-il déclaré le 28 mars dernier. Ce que nous voyons aujourd’hui pervertit notre démocratie et notre société'.
Dans le même temps, les journalistes ont procédé à un examen de conscience. Ils ont commencé "à prendre du recul sur ce candidat qui faisait le buzz avec seulement deux ou trois idées sans fond", souligne Nicole Bacharan. Selon le magazine Fortune, qui s'appuie sur une étude de l'observatoire des médias américains Zignal Labs, au moins 2 159 reportages ont traité de Donald Trump sur CNN, soit deux fois plus que du gouverneur de Floride Jeb Bush. D'après un autre centre de recherche sur les médias, CNN a consacré 80 % du temps de parole consacré aux républicains à Donald Trump...
Mea culpa des médias
Certains éditorialistes ont fait leur mea culpa, à l'image de Nicholas Kristof, du New York Times, qui a reconnu sa part de responsabilité dans son papier intitulé "Les médias ont aidé à créer Trump" publié samedi 26 mars. Depuis, il met en garde sur "Donald, le dangereux". De son côté, Politico a reconnu que "Tout le monde avait tort" en faisant référence à tous ces observateurs politiques qui étaient encore persuadés, il y a quelques mois, que "Donald Trump ne pouvait pas gagner l'élection".
D'autres refusent de voir en lui un phénomène médiatique. Le journaliste Brendan O'Connor du Guardian estime notamment que sa popularité de magnat de l'immobilier était déjà ancrée dans la conscience collective dès le début de sa campagne, notamment grâce à "son émission de télé-réalité 'The Apprentice', qui rassemblait 28,1 millions de spectateurs américains sur NBC".
Quelle que soit la responsabilité des médias dans la popularité du candidat, la politologue Nicole Bacharan estime que "la machine Trump est en train de s'essoufler". "Ses phrases choc sont usées, l'engouement aussi".