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À quelques mois des élections législatives indiennes, les partis rivalisent d’astuces pour tourner la tragédie de Bombay à leur avantage. Jusqu’à maintenant les nationalistes hindous sont en tête de la course...

Retrouvez le carnet de route de Leela Jacinto à Bombay.

Alors que les commandos indiens essayaient de déloger les assaillants retranchés à l’intérieur des hôtels Taj Mahal et Trident-Oberoi ainsi que dans le centre culturel juif, un autre événement préoccupait les services de sécurité de Bombay : la visite surprise dans la capitale économique de l’Inde d’un homme politique controversé.

Membre de la formation d’opposition, le Parti du peuple indien (BJP), Narendra Modi appartient à la branche dure de l’hindouisme. Il a fait le voyage depuis l’Etat voisin du Gujarat afin de tenir à Bombay une conférence de presse improvisée devant les hôtels assiégés.

Au cours de sa visite, ce politicien à la réputation sulfureuse – il s’est vu refuser un visa d’entrée aux Etats-Unis pour enfreinte à la liberté de religion – a proposé que les familles de policiers tués lors de l’opération soient dédommagées. Et s’est dit consterné par la faillite de l’action anti-terroriste du gouvernement.

Son accueil dans cette ville encore bouleversée par les attentats du 26 novembre dernier n’a pas été chaleureux. C’est le moins que l’on puisse dire. La veuve d’un des responsables de la police tué durant les attaques a refusé de le rencontrer et a rejeté sa proposition de dédommagement. Pour le Parti du congrès, majoritaire au Parlement, Narendra Modi n’a fait que bafouer les ordres de sécurité. Quelques jours plus tard, plusieurs habitants de Bombay manifestaient encore leur mécontentement. Selon eux, Modi a tout simplement essayé de détourner les attaques de Bombay à son profit.

Bien souvent en Inde, pays considéré comme la plus grande démocratie du monde, les acteurs de la vie politique n’hésitent pas à se saisir de toutes les occasions pour tourner les événements à leur avantage.

Alors que se profilent les législatives de 2009, les attentats de Bombay, qui ont tué au moins 188 personnes, sont devenus le principal sujet de campagne. Les partis nationaux et locaux s’empressent de redorer leur image vantant leur efficacité face au terrorisme.

Le gouvernement en prend un coup

Le défi pour le Parti du congrès est de se montrer crédible sur sa capacité à renforcer la sécurité nationale, après la faillite des services de sécurité lors des attentats du 26 novembre.

“Le Parti du congrès ne s’est pas seulement fait marcher sur les pieds, il s’est fait distancer de quelques mètres, écrit Kumar Ketkar, rédacteur en chef du quotidien Lok Satta, et l’un des éditorialistes les plus lus de Bombay. Les rapports se succèdent sur les échecs des services secrets. Les membres du Parti du congrès ne savent plus comment justifier cela devant les électeurs."

Certes, les attentats ont provoqué des démissions en série au sein de la classe politique indienne - notamment celle du ministre de l’Intérieur Shivraj Patil - mais les analystes estiment qu’il ne s’agit, pour l’instant, que de mesures à court terme. Pour eux, ces démissions auront peu de conséquences sur le paysage politique.

“Contre le terrorisme, votez BJP”

L’inertie du Parti du congrès tranche quelque peu avec la capacité du BJP à contre-attaquer. Ce parti nationaliste, apte à capter l’électorat hindouiste, a noué d’étroites relations avec un réseau de groupes extrémistes hindous qui s’en prennent traditionnellement à la minorité musulmane. Nul doute que les arguments de campagne du BJP se concentreront sur les liens supposés entre les attaques de Bombay et les réseaux terroristes pakistanais.

Alors que ces deux dernières semaines six Etats indiens ont organisé des élections locales, le BJP s’est tout de suite mis à l’ouvrage. Le 28 novembre, plusieurs quotidiens de New Delhi et du Rajasthan, Etat de l’ouest de l’Inde, contenaient des publicités montrant une tâche de sang sur fond noir avec ce texte : “Contre le terrorisme, votez BJP”. Une stratégie violemment critiquée par le Parti du congrès ainsi que par les principaux analystes politiques. "Le BJP semble jubiler, de façon très cynique", accuse Kumar Ketkar.

Interrogé par FRANCE 24, Vinod Tawde, secrétaire général du BJP dans l’Etat du Maharashtra – Etat dans lequel se trouve la ville de Bombay – tente de calmer les esprits. "Vous ne trouverez pas ces publicités à Bombay ni dans le Maharashtra, fait-il remarquer. Elles ont été diffusées à Delhi et dans le Rajasthan, où la campagne électorale bat son plein. Dans ces Etats, la question terroriste est un véritable enjeu et nous devons faire passer notre message concernant la lutte contre le terrorisme."

Premier test pour le BJP : le 8 décembre, date de publication des élections locales dans les six Etats concernés. Les analystes politiques estiment que ces scrutins auront valeur de baromètre pour les élections législatives de 2009.

Quand le terrorisme influe sur le scrutin

Dans le passé, les partis au pouvoir ont toujours pâti des attaques terroristes, quelle que soit leur couleur politique.

Lors des élections de 2004, le BJP, alors au pouvoir, a perdu face au Parti du congrès. Ce scrutin faisait alors suite aux attentats de 2001 contre le Parlement indien et le détournement, en 1999, d’un avion Indian Airlines à destination du Pakistan.

Autre exemple : en 1993, le Parti du congrès a perdu le contrôle de l’Etat du Maharashtra, peu après les attentats du mois de mars. Le parti Shiv Sena, déclinaison régionale d’un parti nationaliste hindou, a remporté le scrutin, en s’alliant avec le BJP.

Il est pourtant difficile de savoir dans quelle mesure les attaques du 26 novembre influeront sur les élections. Dans un pays où la majorité de la population habite à la campagne et n’est donc pas directement concernée par le terrorisme, la question économique reste cruciale. En outre, même dans les villes, la crise économique, qui n’a pas épargné l’Inde, pourrait fortement influencer le vote des électeurs. Au point de reléguer le terrorisme au deuxième rang de leurs préoccupations.