Iconem, une start-up française spécialisée dans la numérisation 3D, s’est lancée dans la conservation des sites archéologiques syriens, pour partager avec le plus grand nombre la beauté de ce patrimoine menacé.
"La mission qu’on s’est donnée est de préserver la connaissance du patrimoine, là où il est en danger." En une phrase, Yves Ubelmann résume la visée de l’entreprise qu’il a fondée en 2013. Iconem, spécialisée dans la numérisation en 3D, a déjà travaillé au Mali, en Afghanistan, en Irak et aujourd’hui en Syrie : grâce à des technologies nouvelles, elle conserve l’image de sites archéologiques menacés.
Mais le projet "Syrian Heritage" est particulier : d’une part parce qu’Iconem le réalise à titre gracieux. "Nous utilisons les fonds de l’entreprise et avons fait appel à des investisseurs", explique-t-il. Et d’autre part, en raison de la dimension toute particulière que lui confère la situation dramatique en Syrie, pays d’une grande richesse archéologique déchiré par cinq ans d’une guerre dévastatrice pour les hommes mais aussi pour le patrimoine.
Architecte de formation, Yves Ubelmann est loin d’être novice en matière d’archéologie. Et pour ce qui est de la Syrie, on peut dire qu’il n’est pas non plus au stade de la découverte : "J’ai vécu en Syrie de 2006 à 2009 dans le cadre de missions archéologiques. J’ai vu ce que c’était avant la guerre", explique-t-il. Le projet Syrian Heritage lui tient donc particulièrement à cœur.
"Conserver la connaissance du patrimoine syrien pour les générations futures"
La mosquée des Ommeyades à Damas
Umayyad Mosque from Iconem on Vimeo.
"On voulait montrer cette image-là de la Syrie, magnifique, et qui n’est pas celle que l’on voit depuis la guerre", observe-t-il en racontant la genèse du projet qui l’a conduit en décembre 2015 dans le pays malgré le danger. Le patrimoine archéologique syrien n’a pas été épargné par le conflit. Plusieurs sites ont été endommagés, ou presque détruits par les bombardements et les tirs. Et les jihadistes de l’organisation État islamique (EI) ont intentionnellement détruit plusieurs monuments, dont les célèbres temples de Bêl et Baalshamin à Palmyre.
Iconem veut agir avant qu’il ne soit trop tard. "Contrairement à ce que l’on peut penser, tout le patrimoine syrien n’est pas détruit, loin de là, il est très précieux et il faut en conserver la connaissance pour les générations futures", poursuit-il. Alors, comme "on ne sait pas ce qui peut arriver", Iconem veut offrir une vision à un instant T, celui de la prise de vue de ce qu’est le site.
Une initiative accueillie avec joie côté syrien. "Cette solution offre aux sites archéologiques un véritable espoir de renaissance, et permettra quoi qu'il arrive d'en conserver la mémoire. L'opération que la Direction générale des antiquités et des musées syrienne (DGAM) a menée avec Iconem permettra d'éviter une perte irréparable pour l'humanité", explique Maamoun Abdulkarim, directeur des antiquités syriennes, dans un communiqué. Si une telle réaction était attendue de la part d’officiels, Yves Ubelmann a été également marqué par celle de la population. "Les Syriens avaient une tradition d’hospitalité et d’accueil et, avec la guerre, ils se sont senti abandonnés par les touristes et les archéologues. Le fait que l’on se rende sur place leur a donné beaucoup d’espoir ", raconte-t-il.
Permettre aux archéologues de poursuivre son travail
Comment cela se passe-t-il concrètement ? "On travaille avec des archéologues syriens qui ont proposé une liste de sites accessibles du point de vue sécuritaire. On s’est rendu sur place pour faire des acquisitions - photo, prises de vue - à l’aide de technologies nouvelles, voire émergentes, comme des drones équipés d’appareils photos ou des scanners lasers. Puis, une fois rentrés à Paris, on traite l’image informatiquement pour reconstituer le lieu en 3D", explique Yves Ubelmann. Là encore, Iconem, start-up à la pointe de l’innovation travaille avec des technologies très récentes de traitement de l’image, comme la photogrammétrie, capable de synthétiser des milliers de clichés pour reproduire les monuments avec une précision pouvant aller jusqu'au millimètre. Pour cela, elle collabore avec Microsoft, l'Institut français de la recherche en informatique (INRIA) et l'École normale supérieure.
Ensuite, les images obtenues sont conservées pour constituer une base de données consultable par tous. Parmi les sites déjà numérisés figurent le célèbre Krak des Chevaliers, immense château-fort croisé sur les hauteurs non loin de Homs, la citadelle de Damas, datant également du XIe siècle, la mosquée des Omeyyades de Damas (VIIIe siècle), des maisons traditionnelles de la période ottomane, le Palais Azem, ancien palais du gouverneur ottoman dans la capitale également, le théâtre romain de Jableh et le site phénicien d'Ougarit, où est apparu le premier alphabet. Iconem a aussi numérisé les collections de grands musées syriens, dont celui de Lattaquié.
"L’idée est bien entendu de constituer une base de données en ligne consultable par tous". Mais pas uniquement. "On voulait aussi donner à la communauté scientifique des archéologues, habitués à se rendre en Syrie avant le conflit, les informations les plus récentes concernant ces sites", explique Yves Ubelmann qui souligne que, de la sorte, le travail sur l’archéologie syrienne peut se poursuivre.
À défaut donc de pouvoir se rendre en Syrie, un voyage aujourd’hui trop dangereux et qui risque de le rester longtemps, on peut d’ores et déjà visiter virtuellement trois de ces sites sur le site Internet d’Iconem, mais aussi sur celui de la DGAM. L'intégralité de la collection sera disponible fin mai.
Reste que, comme Iconem ne se rend que dans les zones relativement épargnées par le conflit, de nombreux sites syriens qui ont été touchés par les bombardements et destructions, ou risquent de l’être, échappent ainsi à son champ d’action, comme Palmyre notamment. Une partie du patrimoine syrien à d'ores et déjà disparu.