L'annonce par Vladimir Poutine, lundi, du retrait du gros des troupes russes de Syrie a pris de cours tout le monde. Quelles sont les raisons de cette décision ? Éclairage.
Vladmir Poutine a surpris toute le monde en annonçant lundi 14 mars le retrait du gros de ses troupes de Syrie. Dès le lendemain, les premiers bombardiers russes faisaient un retour triomphal au pays, retransmis sur les écrans des télévisions russes. Mission accomplie.
Même si le Kremlin avait prévenu dès le départ que son opération militaire serait limitée dans le temps, l’étonnement est légitime. L’intervention russe a certes bien permis à l’armée syrienne, en mauvaise posture il y a quelques mois, de reprendre le dessus sur les rebelles et de regagner du terrain - quelque 400 localités environ - mais les objectifs de Bachar al-Assad sont loin d’être atteints.
Damas et Moscou, alliés indéfectibles depuis cinq ans, avaient lancé ensemble une vaste campagne militaire dans le nord de la Syrie, qui visait à reconquérir la province d’Alep, puis à terme à verrouiller la frontière avec la Turquie, par laquelle transitent combattants et munitions pour la rébellion. Ainsi, le régime syrien aurait accompli une avancée de taille et aurait été tranquille, pour ainsi dire, du moins pour un temps.
Moscou et Damas, deux alliés aux objectifs différents
Mais, selon les experts, même si Moscou et Damas sont alliés, leurs objectifs restent bien distincts. Si les Russes se retirent, c’est parce que "du point de vue de Moscou, les objectifs sont atteints ", observe Isabelle Facon, spécialiste de la Russie et maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). "Poutine aura réussi à remettre en selle Assad, à lui faire gagner du terrain et à l’amener à la table des négociations dans la position la plus forte possible ", explique-t-elle.
Pour Cyrille Bret, spécialiste de la Russie et enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP), Poutine a obtenu ce qu’il voulait par le simple fait de "garantir qu’il n’y aura pas de changement de régime en Syrie dans un avenir proche".
Une chose est sûre, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les autorités russes ne sont pas attachées à la personne même de Bachar al-Assad, dont l’avenir à la tête de la Syrie est le principal point d’achoppement des négociations de paix à Genève.
Les Russes ne sont "pas mariés à Assad"
"Les Russes ont souvent rappelé qu’ils n’étaient pas mariés à Assad, remarque ainsi Isabelle Facon. Pour eux, il est simplement garant de leurs intérêts dans la région : leurs bases militaires en Syrie et l’ouverture qu’elles constituent sur la Méditerranée orientale."
Cependant, à l’heure actuelle, l’horizon syrien est sombre et incertain et nul ne sait si le successeur d’Assad sera favorable à Moscou. Du coup, "les Russes défendent Assad car ils ne veulent pas d’un changement de pouvoir à Damas qui se ferait sous pression occidentale, avec le risque de voir à la tête du pays quelqu’un qui leur serait défavorable. Ils ne veulent pas d’un scénario à la libyenne", poursuit-elle.
En outre, en se contentant d’une intervention limitée, "Poutine envoie un message à Assad, lui faisant comprendre qu’il y a des limites à son soutien", observe encore Isabelle Facon. Georges Malbrunot, journaliste au Figaro, évoque d’ailleurs dans un article un certain "agacement" du dirigeant russe envers son protégé syrien. Il n’aurait ainsi pas apprécié l’intransigeance affichée du régime sur le plan diplomatique.
La date des élections, point de friction
Autre sujet de mécontentement, l’annonce par Assad de la tenue d’élections le 13 avril prochain alors que la feuille de route pour la Syrie adoptée par les grandes puissances à Vienne en novembre 2015 prévoyait un scrutin dans un délai de 18 mois.
De telles frictions et le retrait russe ne signifient pas pour autant que Moscou lâche Damas. "On a vu lors de la visite d’Assad à Moscou, en novembre dernier, que tout avait été fait pour présenter Assad en position de vassal, or il est tout a fait normal qu’il y ait des tensions dans ce genre de relation", rappelle Cyrille Bret qui insiste sur le fait que le principal pour Moscou est de sauvegarder ses intérêts stratégiques.
Un désengagement relatif
Cyrille Bret invite en outre à relativiser l’importance de ce retrait qui, rappelle-t-il, était déjà prévu. En effet, même si de nombreuses personnes ne l’ont pas cru, Vladimir Poutine avait annoncé dès le début que l’intervention de l’aviation russe ne durerait que "trois à quatre mois".
Finalement l’opération a pris cinq mois. Moscou garde en mémoire son engagement en Afghanistan dans les années 1980, puis celui des Américains, et redoutait l’enlisement en Syrie. Il ne faut pas non plus perdre de vue que la Russie entre dans sa deuxième année de récession et que la guerre en Syrie représente un effort budgétaire.
D'autre part, ce retrait "est encore relatif ", souligne Isabelle Facon, "puisque les Russes ont expliqué qu’il gardaient leur base militaire de Tartous et de Hmeimim près de Lattaquié, ainsi que leur système anti-aérien S 400". Comme pour bien rappeler qu’il gardait un pied en Syrie, Vladimir Poutine a fait jeudi une déclaration pour le moins musclée, affirmant que son armée pourrait si nécessaire redéployer des avions en Syrie, "en quelques heures".
Repli tactique avant les négociations
La date choisie n’est pas anodine. "Vladimir Poutine a annoncé le début du retrait le jour même de la reprise des négociations de paix inter-syriennes à Genève", rappelle la chercheuse. Cela permet à Moscou de "se poser en acteur constructif". Voyant là une avancée positive pour les négociations, l’UE, l’ONU et les États-Unis n’ont d’ailleurs pas manqué de saluer le retrait des avions russes et l’arrêt des bombardements, réclamé par l’opposition syrienne. Un geste qui donne un argument de plus à ceux dans le camp occidental qui voudraient renouer avec Moscou, après la crise ukrainienne.
"L’annonce du retrait au début des négociations de Genève devrait favoriser les discussions", observe pour sa part Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et chercheur invité au Washington Institute. D’une part, "le régime sait désormais qu’il ne sera pas soutenu à n’importe quel prix par Moscou. Il faut donc qu’il fasse des concessions sur la gouvernance : le fédéralisme par exemple, voulu par Moscou ", explique-t-il. D’autre part, avec ce retrait, "l’opposition, qui n’avait pas l’intention de négocier quoi que ce soit, devra faire un effort également".