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Riyad ou Téhéran ? Entre les deux rivaux, les intérêts de la France balancent

Le prince héritier d'Arabie saoudite s’est entretenu avec François Hollande, vendredi, à l’Élysée. L’occasion de rassurer le précieux partenaire saoudien, après l’ajustement de la diplomatie française en faveur de l’Iran.

Mohammed ben Nayef, le prince héritier du royaume d'Arabie saoudite, s’est entretenu vendredi 4 mars à l’Élysée avec le président François Hollande, qui avait, au début de son mandat, fait de la pétromonarchie wahhabite le pilier de la diplomatie française au Moyen-Orient.

Officiellement, il était prévu qu’ils discutent de la situation régionale, notamment des guerres qui font rage au Yémen et en Syrie, dans lesquelles les Saoudiens jouent un rôle majeur. Mais le Président français aura surtout eu à cœur de rassurer la famille royale saoudienne, qui n’a pas vraiment apprécié de voir Paris recevoir avec les honneurs, fin janvier, Hassan Rohani, le président de l’Iran, grand rival chiite honni par Riyad.

Cette visite avait été suivie par la proclamation, fin juillet, "d’une relation nouvelle" entre Paris et Téhéran à la faveur de la signature de l’accord sur le nucléaire en juillet.

Ce dégel franco-iranien a jeté un doute sur l’idylle diplomatique, militaire et économique en vigueur entre Paris et Riyad depuis l’arrivée au pouvoir en mai 2012 de François Hollande. À l’époque, ce dernier avait décidé de miser sur un partenariat franco-saoudien, rompant ainsi avec la politique arabe de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, très alignée sur celle du Qatar. Symboliquement, François Hollande avait d’ailleurs effectué son premier voyage dans la région en tant que chef d’État en Arabie saoudite.

Un rapprochement scellé sur fond de contrats juteux

Mais c’est surtout la reculade de son allié historique américain sur la question des armes chimiques syriennes, en 2013, doublée de la main tendue de l’administration Obama à Téhéran dans le cadre des négociations sur le nucléaire iranien, qui avaient poussé Riyad à se rapprocher encore plus de la France, qui était prête à frapper le régime de Bachar al-Assad, l’allié de l’Iran chiite.

Cette alliance a fait alors les affaires, au sens propre et figuré, de Paris, qui multiplie les contrats avec l’Arabie saoudite, devenu "le premier client de la France au Moyen-Orient" selon les propres termes du président français. En 2013, les échanges entre les deux pays ont dépassé les 8 milliards d'euros. En novembre 2014, un contrat de livraisons d’armes françaises au Liban d’un montant de 3 milliards de dollars est signé, avant d’être suspendu par Riyad le mois dernier.

Autre conséquence de cette logique d’alliances : en février 2015, l’Égypte du président Sissi, forte d’un budget généreusement alimenté par les pétrodollars de son allié saoudien, commande 24 Rafale ainsi qu'une frégate pour 5 milliards d'euros à la France. En octobre de la même année, une série d'accords, de contrats et de lettres d'intention représentant 10 milliards d'euros est signée par le royaume, à l'occasion de la visite à Riyad du Premier ministre Manuel Valls.

En retour, coïncidence ou pas, le gouvernement français ne décevra pas le royaume saoudien. Sur le dossier syrien, la France affiche les mêmes positions que Riyad en réclamant le départ du président Assad. De même, sur le volet du nucléaire iranien, elle adopte, avant la signature de l’accord, les positions les plus intransigeantes à l’égard de Téhéran, non sans agacer au passage ses partenaires occidentaux pressés de clore le dossier. Enfin au Yémen, Riyad, qui conduit une coalition arabe contre la rébellion chiite houthie, a toujours pu compter sur le soutien de la France.

Une idylle très critiquée

En janvier 2015, l'arrivée sur le trône du roi Salmane pour succéder au roi Abdallah ne change pas la donne, au contraire. En mai, les pétromonarchies de la région déroulent le tapis rouge au président Hollande, invité d'honneur d'un sommet extraordinaire du Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCG) réunissant l'Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, Oman, le Koweït et le Qatar. C’est une première pour un chef d'État occidental.

Depuis, les critiques n'ont cessé de pleuvoir au sujet sur cette relation privilégiée entre un pays qui se veut le champion des droits de l’Homme dans le monde et une pétromonarchie wahhabite qui applique implacablement la charia et qui finance le salafisme depuis plusieurs décennies, ainsi que les mouvements islamistes, armés ou pas, les plus sectaires. Mais confronté à la crise économique, le gouvernement français, qui n’est pas dupe, préfère placer ses considérations géostratégiques et économiques au-dessus d’autres principes.

La donne va changer après les attentats de Paris. Alors que la France déclare la guerre au terrorisme islamiste, des voix s’élèvent à nouveau pour dénoncer les liens entre la France et l'Arabie saoudite, et le Qatar, fréquemment accusés de soutenir financièrement le terrorisme en Syrie et de propager sa vision fondamentaliste de l’islam. "La France n'est pas crédible dans ses relations avec l'Arabie saoudite", avait notamment protesté l'ex-juge antiterroriste Marc Trévidic, interrogé par les Échos. "Nous savons très bien que ce pays du Golfe a versé le poison dans le verre par la diffusion du wahhabisme. Les attentats de Paris en sont l'un des résultats", avait-il asséné.

Manuel Valls avait alors assuré qu'il n'avait aucune "raison de douter aujourd'hui de l'engagement" de Riyad et de Doha, qui luttent de manière "incontestable" contre l'organisation de l’État islamique. Toujours est-il que peu après le 13-Novembre, au nom de la guerre contre le terrorisme, la France s’est rapprochée de la Russie, l’autre allié indéfectible de Damas.

Par conséquent, d’aucuns pourraient penser que la suspension du contrat de vente d’armes françaises au Liban est une sorte d’avertissement saoudien, par ricochet, au rééquilibrages diplomatiques de la France. Même si, officiellement, Riyad assure avoir pris cette mesure pour protester contre des prises de position "hostiles" par le Liban, inspirées selon elle par le Hezbollah, le mouvement chiite pro-iranien. Toujours est-il qu'au final, c'est une belle opportunité qui risque de s'envoler pour la vingtaine de sociétés françaises qui étaient censées participer à ce contrat qui portait sur des équipements terrestres, maritimes et aériens.