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La croisade d’une association catholique intégriste contre le sexe au cinéma

L’association Promouvoir proche des catholiques traditionalistes a obtenu l’annulation du visa d’exploitation de la Palme d’or "La Vie d’Adèle" pour des scènes de sexe jugées trop "réalistes". L’organisation n’en est pas à son coup d’essai.

L’association Promouvoir a gagné son dernier combat. Cette organisation proche des milieux catholiques traditionalistes a fait interdire, mercredi 9 décembre, le visa d’exploitation de la Palme d’or 2013 "La vie d’Adèle", d’Abdellatif Kechiche. Selon elle, l’œuvre comportait "plusieurs scènes de sexe présentées de façon réaliste, en gros plan" qui sont "de nature à heurter la sensibilité du jeune public". La décision a été rendue par la cour administrative d’appel de Paris qui a précisé que le ministère de la Culture avait deux mois pour "procéder au réexamen de la demande de visa".

>> Sur le blog cinéma de France 24 : "'La vie d'Adèle', l’une des plus belles histoires d’amour jamais portée à l'écran"

Dans les faits, cela signifie que le film, déjà interdit aux moins de 12 ans, est devenu "hors-la-loi". Il est de facto interdit de diffusion dans les salles françaises tant que son "visa d’exploitation" n’est pas réévalué par la ministre Fleur Pellerin. Une censure tardive pour le long-métrage, sorti en octobre 2013, et qui attiré plus d'un million de spectateurs en salles. "Cette décision me paraît plutôt saine", a réagi Abdellatif Kechiche, à contre-courant de son distributeur et du ministère de la Culture. "Je n’ai jamais pensé que mon film pouvait être vu par des gamins de 12 ans, et je déconseille personnellement à ma fille de le voir avant qu’elle ait 14 ou 15 ans." Aussi l’interdiction aux moins de 16 ans ne le "dérangerait pas", a-t-il déclaré au journal "Le Monde".

Reste que le procès qui lui a été intenté par Promouvoir en dit long sur le combat de l’association à l’égard du septième art.

Bande-annonce de "La vie d'Adéle", Palme d'or à Cannes en 2013

"Faire obstacle à l’homosexualité"

Sur Internet, impossible de trouver une trace de ses membres. Seul un nom filtre, celui d'André Bonnet, connu aussi sous le pseudonyme Patrice André. Le cofondateur de l’association créée en 1996, n'est pas un inconnu. Ancien militant d’extrême-droite, ancien proche de Bruno Mégret, l’homme, avocat fiscaliste de profession, généralement très discret, a toutefois écumé plusieurs plateaux de télévision et s'est exprimé dans plusieurs revues de cinéma. Son sacerdoce : défendre les "valeurs judéo-chrétiennes dans tous les domaines de la société", et particulièrement au cinéma. Et "faire obstacle" à l’inceste, au viol, à l’homosexualité – préférence sexuelle dont il compare d’ailleurs le "danger" à la "montée du nazisme et du marxisme-léninisme" dans un discours prononcé en mai 2013 dans un meeting de la "Manif pour tous".

Qu’on le prenne pour un exalté d’un autre temps ou un "personnage sorti d’une comédie de Mocky", selon l’expression du distributeur Vincent Maraval, il serait malvenu de ne pas prendre André Bonnet au sérieux. Car l’avocat sexagénaire est un procédurier qui excelle dans son combat contre le septième art. Il est la bête noire de la commission de classification du CNC (Centre national de la cinématographie), chargée d’aposer les fameuses mentions "tous publics" ou encore "interdits au -12 ans" sur les œuvres cinématographiques… Commission qu’il dénigre volontiers. "[Elle prend des décisions] d’une irresponsabilité grave", a-t-il estimé au magazine "Première".

La "mort immédiate" de "Baise-moi" de Despentes

C’est en 2000, que son combat commence vraiment avec l’affaire "Baise-moi". André Bonnet attaque en justice le film de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi. Il gagne. Le long-métrage est retiré des cinémas. "Le film a été classé X et il a été retiré des salles après seulement deux jours, ça a entraîné sa mort immédiate", a raconté Virginie Despentes aux "Inrocks". "On ne s’attendait pas à ce qu’une personne isolée puisse obtenir aussi rapidement son retrait des salles". À la suite de cette décision judiciaire, la classification "interdits au -18 ans" est créée.
 

André Bonnet se justifie auprès de BFM sur son action en justice contre "Love"

L’année suivante, le fondateur de "Promouvoir" part en croisade contre "Le Pornographe" de Vincent Bonello, et contre le roman "Plateforme" de Michel Houellebecq jugé "pornographique". En 2009, il s’illustre une nouvelle fois dans le milieu du cinéma en s’opposant à la sortie d’"Antichrist", du réalisateur Lars Von Trier. Si son association n’obtient pas gain de cause en voulant faire interdire l’exploitation du film (déjà interdit aux moins de 16 ans), il réussit néanmoins à exiger que son visa soit réexaminé.

"Nymphomaniac", "Love", "Pirates des Caraïbes", dans le viseur de Promouvoir

Même campagne contre "Nymphomaniac" du même Lars Von Trier, "Ken Park" de Larry Clark, "Saw 3D" de Kevin Greutert, "Love" de Gaspar Noé. Des victoires pour l’association : tous ces films sont désormais interdits aux mineurs. Dans son entretien avec "Première", André Bonnet ne fait pas non plus secret de ses prochaines cibles : "50 Nuances de Grey", interdit aux moins de 12 ans, ou encore "Mad Max : Fury road", jugé trop violent. L’association s’est également étonnée de l’autorisation "tous publics" accordée au blockbuster américain "Pirates des Caraïbes", en raison de la présence de morts-vivants dans le film.

Pis, le militant catholique, père de huit enfants ("qui croit détenir les clés de l’équilibre psychique des adolescents", selon l’expression du "Monde"), n’hésite pas à établir un lien de cause à effet entre certains films jugés "X" et le mal-être des jeunes. "On s’étonne […] d’entendre tant de jeunes dire qu’ils ne croient pas à l’amour avec un grand A et que leur taux de suicide soit en augmentation constante…", indique-t-il au site Allociné, lors d’un entretien en août 2015. On n’ose imaginer l’hécatombe parmi les adolescents que provoqueraient les éventuelles ressorties en salles d’"Emmanuelle" de Just Jaeckin, ou de "L’empire des sens" de Nagisa Oshima.

Bande-annonce de "Love" de Gaspar Noé