Alors que certains sondages donnent le Front national en tête au premier tour des régionales dans plusieurs régions, des représentants de la communauté juive, inquiets, ont manifesté ouvertement leur opposition au parti de Marine Le Pen.
À quelques jours des régionales, la dynamique sondagière du Front national inquiète à tout-va responsables financiers, culturels, politiques mais également les communautés religieuses. Les représentants de la communauté juive en Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) ont appelé jeudi à faire barrage aux régionales à la liste Front national (FN) de Marion Maréchal-Le Pen, en tête dans les sondages.
"Nous n'avons pas la bêtise de croire que nous ne faisons pas partie du lot des personnes que [le FN] exclut", a déclaré Michèle Teboul, présidente régionale du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). L'organisation a reçu les deux principaux concurrents de Marion Maréchal-Le Pen, Christophe Castaner (PS) et Christian Estrosi (Les Républicains).
"Mme Maréchal-Le Pen base son discours sur la suprématie d'une France chrétienne où nous, juifs, ne trouverions pas notre place (...) Nous ne sommes pas dupes. Si les musulmans n'étaient pas là, ce serait les juifs qu'elle exclurait", a-t-elle poursuivi, lors d'une conférence de presse à Marseille. "Pas une voix juive ne doit se porter sur le Front national", a complété William Labi, président délégué du Consistoire, lors de cette conférence à laquelle assistait également le grand rabbin de Marseille.
La stratégie de séduction de Marine Le Pen
Des déclarations qui ne sont pas anodines. Depuis 2012, la présidente du FN a adopté une stratégie de séduction à l’égard de l’électorat juif, qui ne s’y est pas montré complètement insensible. Si son père et fondateur du parti, Jean-Marie Le Pen, a été condamné pour des propos négationnistes et antisémites après avoir qualifié les chambres à gaz de "détail" de l’Histoire, Marine a rompu avec ces positions dès son accession à la tête du parti.
Elle a multiplié les déclarations pour tenter de défaire le FN de son image raciste et antisémite. Une stratégie de dédiabolisation du parti qui n'est pas sans visée électoraliste. "Je ne cesse de le répéter aux Français juifs, qui sont de plus en plus nombreux à se tourner vers nous : 'Non seulement le Front national n’est pas votre ennemi, mais il est sans doute dans l’avenir le meilleur bouclier pour vous protéger (…) face au seul vrai ennemi, le fondamentalisme islamiste'", déclarait-elle en juin 2014 dans "Valeurs actuelles".
Un mois après, en juillet 2014, réagissant aux violences aux abords des synagogues à Paris et à Sarcelles sur fond de tension à Gaza, Marine Le Pen prenait la défense de la Ligue de défense juive, estimant qu’elle existe "parce qu’un grand nombre de juifs se sentent menacés".
Le vote frontiste devenu "possible" pour les Français juifs
Il semblerait qu’elle ait fait mouche auprès de certains électeurs de confession juive. "La combinaison de ce nouveau positionnement, en rupture très nette avec les dérapages de Jean-Marie Le Pen, de la montée du sentiment d’insécurité et de la ‘menace islamiste’ dans une partie de cet électorat a rendu le vote FN possible", analyse Jérôme Fourquet, directeur de département à l'Ifop et auteur d'un texte sur le vote des électeurs juifs, publié tout à la fois dans l'ouvrage collectif "Les Faux-semblants du Front national" (Presses de Sciences Po, 2015) et sur le site Slate.fr.
D’après des cumuls d’enquêtes de l’Ifop, Marine Le Pen aurait ainsi obtenu 13,5 % des voix* parmi les personnes se déclarant de confession juive au premier tour de la présidentielle de 2012. Un niveau significativement inférieur à la moyenne nationale (17,9 %), mais qui, selon Fourquet, révèle que "le vote frontiste n’est désormais plus résiduel parmi cet électorat".
L’analyste estime qu’il ne faut pas pour autant en tirer de conclusions hâtives. "Les résultats électoraux des bureaux de vote sarcellois de la 'petite Jérusalem' n’ont pas traduit de percée supplémentaire du FN, ni aux européennes de 2014 ni aux départementales de 2015", souligne-t-il, ces dernières élections ayant pourtant eu lieu deux mois après l’attentat à l’Hypercacher de Vincennes.
Reste à savoir si les attentats du 13 novembre permettront au FN de marquer de nouveaux points le 5 décembre auprès de l’électorat juif, sensible au discours sécuritaire. Le Crif espère tout le contraire. Dans un communiqué diffusé le 2 décembre, l’institution juive a appelé les "Français à se rendre massivement aux urnes pour démontrer la vitalité démocratique de notre pays malgré les menaces terroristes" et rappelé "sa position de rejet de l'extrême droite (en particulier du Front national) et de l'extrême gauche, dont les valeurs sont contraires à notre pacte républicain".
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* En l’absence de statistiques ethniques et religieuses en France, Jérôme Fourquet souligne que les chiffres sur la présidentielle 2012 ont été obtenus à partir d'un échantillon de 510 sondés se déclarant de confession juive et interrogés lors de plusieurs enquête effectuées entre 2012 et 2014.