
Polar sur une cellule jihadiste fomentant des attaques simultanées dans Paris, le film "Made in France" a vu sa sortie reportée en raison de l’actualité. Une décision prise par les distributeurs qui assurent que le film sortira "plus tard".
Les affiches venaient tout juste de recouvrir les panneaux publicitaires du métro parisien. Avec un visuel choc : une grande kalachnikov adossée à la tour Eiffel, comme un prolongement armé au plus célèbre des monuments français. Pour la sortie du film "Made in France", initialement prévue ce mercredi 18 novembre, les producteurs souhaitaient marquer les esprits avec une image forte. Quelques heures seulement après les attentats sanglants qui ont frappé Paris et Saint-Denis, les posters ont été retirés d’urgence par Media Transports, la régie publicitaire de la RATP.
Le film, lui, ne sera pas diffusé à la date prévue dans les salles françaises. Pretty Pictures, le distributeur, a pris la décision "évidente", selon les termes de son dirigeant James Velaise, de reporter sine die son exploitation sur grand écran. Car, au-delà du visuel de l’affiche, c’est tout le scénario du long-métrage de Nicolas Boukhrief qui résonne puissamment avec ce qui vient de vivre la France : "Made in France" raconte l’infiltration d’un journaliste au sein d’une cellule jihadiste de la banlieue parisienne qui prépare des attaques coordonnées au cœur de Paris.
Actuellement en tournage, le réalisateur ne s’est pas exprimé publiquement depuis les attentats de vendredi. "Mais il a tout à fait compris notre décision", précise à France 24 James Velaise. "Même s’il est trop tôt pour donner une date, le film sortira de toute façon. On ne va pas plier devant une bande de fanatiques, affirme le distributeur. 'Made in France' a un rôle à jouer auprès des jeunes susceptibles d’emprunter la voie de la radicalisation, car le film dit bien que si vous vous embarquez là-dedans, vous finirez par perdre."
Avant le report de son film, Nicolas Boukhrief affirmait à l’AFP l’avoir conçu "comme un contrepoison" à l’endoctrinement islamiste. "Le film a été tourné avant les attaques contre 'Charlie Hebdo' et l’Hyper Cacher à Paris, précise le patron de Pretty Pictures. ll n’a pas surfé sur ces événements. C’est un sujet auquel il pense depuis longtemps, c’est le fruit d’un long travail de recherche".
Problème de financement
Le projet a germé dans la tête du cinéaste après la mort, diffusée quasiment en direct à la télévision, de Khaled Kelkal, l’artisan de la série d’attentats commise en France en 1995. "Moi même né d'un père algérien et d'une mère française, je me demandais comment une intégration a-t-elle pu échouer à ce point", expliquait-il, toujours à l’AFP.
"Made in France" aura ainsi mis quatre ans à être réalisé. Le temps pour le cinéaste de mener des enquêtes auprès des jeunes de banlieues et des milieux intégristes et de se documenter auprès des services de police. Et, surtout, trouver des financements. "En 2012, les financements publics nous ont été refusés sous prétexte que le sujet était anecdotique. Aujourd'hui, ça paraît dément", déclarait le réalisateur, alors que les attentats du 13 novembre n’avaient pas encore eu lieu.
De fait, Nicolas Boukhrief a démarré l’écriture alors que l’organisation État islamique n'existait pas. "Il n'y avait pas encore cette folie des jeunes qui partent se battre en Syrie. Les jeunes dont le film parle sont français, comme les frères Kouachi", auteurs de l'attaque contre "Charlie Hebdo". Et d’ajouter : "Ce film a été rattrapé par l'histoire". Il ne savait pas alors qu’il le serait deux fois.
Seconde vie
Ce n’est pas la première fois qu’un film anticipe des drames à grande échelle. Comme le rappelle "Le Monde", en 1998, le film d’action américain "Couvre-feu" suivait un groupuscule terroriste prévoyant des attaques simultanées contre le quartier général du FBI à New York et un théâtre de Broadway. Passé inaperçu au moment de sa sortie, le film connut, après les attentats du 11-Septembre contre les tours jumelles du World Trade Center, une seconde vie en raison de son contenu quasi prophétique.
En France, les attentats de janvier avaient remis sous les feux des projecteurs "La Désintégration", un film de Philippe Faucon sorti trois ans auparavant. Connu d’un public confidentiel, ce récit très documenté retraçant le parcours de trois jeunes de banlieue en voie de radicalisation fut alors présenté par les critiques et les cinéphiles comme un film prémonitoire. Au lendemain de la marche citoyenne du 11 janvier, les distributeurs avaient fait part de leur volonté que le film soit diffusé à la télévision. "Il faut que ce film soit vu !", avaient-ils dit au "Monde". Avant de préciser : "Ce n’est pas du cynisme commercial, c’est civique."