Le double attentat sanglant commis jeudi dans un bastion du Hezbollah au sud de Beyrouth a été revendiqué par l’organisation de l’État islamique. Quel est l’objectif du groupe jihadiste au Liban ? Décryptage avec le politologue Khattar Abou Diab.
Selon le dernier bilan, encore provisoire, de la Croix-Rouge libanaise, le double attentat-suicide, perpétré le 12 novembre dans la banlieue sud de Beyrouth, a fait 44 morts et 239 blessés. L’attaque, revendiquée par l’organisation de l’État islamique (EI), s’est produite à une heure de pointe dans une rue commerçante bondée du quartier à majorité chiite de Bourj al-Barajné, bastion du Hezbollah, le mouvement politico-militaire libanais.
Pour comprendre les conséquences et les motifs de cette attaque sanglante, France 24 a interrogé Khattar Abou Diab, politologue spécialiste du Moyen-Orient et enseignant à l’université Paris-XI.
Au lendemain de ce double-attentat meurtrier, quels enseignements faut-il tirer de la cible et du mode opératoire choisis par l’EI ?
Khattar Abou Diab : Cette attaque marque un tournant dans la barbarie nihiliste de Daech [autre nom de l’EI, NDLR] puisqu’il s’agit du premier attentat de cette ampleur revendiqué par cette organisation au Liban. Cela démontre que le Liban n’est plus à l’abri d’un danger immense. Après l’Irak et la Syrie, les tentacules de Daech s’étendent désormais vers le Liban. Même si ce quartier populaire de la banlieue sud de Beyrouth à majorité chiite est présenté comme un bastion du Hezbollah, ce ne sont pas les cadres du parti qui ont été visés mais bel et bien des civils innocents qui se trouvaient sur les lieux à une heure de pointe.
Indéniablement, le mode opératoire, à savoir un double attentat-suicide, et le choix de la cible avaient pour objectif de faire le plus de victimes possible et de marquer les esprits. Tragiquement, ils ont réussi puisqu’il s’agit de l’attentat le plus sanglant commis au Liban depuis plus de 25 ans, c’est dire la violence de l’attaque et leur volonté de frapper fort. Le bilan aurait pu encore être encore plus lourd puisque selon les médias locaux, un troisième kamikaze a échoué à faire exploser sa charge au milieu de la foule.
Au-delà du bain de sang qu’il a provoqué, quel est le message envoyé par l’EI ?
En frappant au Liban, le groupe terroriste cherche à atteindre plusieurs objectifs. D’une part, châtier le Hezbollah, qui soutient le régime de Damas et qui appartient au camp iranien, en visant sa base populaire dans le but de la détourner de lui en la terrorisant et en la décourageant. Il s’agit ensuite de démontrer qu’il peut frapper là où il veut, quand il veut, même dans une zone censée être ultra-sécurisée et qui n’avait plus été touchée par un attentat depuis l’été 2014.
Enfin, Daech cherche à déstabiliser le Liban, qui est une cible aussi fragile que facile, notamment à cause des divisions partisanes engendrées par la crise en Syrie, qui a accru les tensions confessionnelles notamment entre chiites et sunnites. N’oublions pas, concernant le timing de l’attaque, qu’elle a été perpétrée à un moment où Daech est sous pression. Et ce, en Syrie et en Irak, du fait des raids de la coalition internationale menée par Washington et de l’intervention russe qui bénéficie, sur le terrain syrien, au régime de Damas et au Hezbollah.
En frappant au Liban, c’est un modèle de société qui est également visé.
Absolument, le Liban en tant que tel incarne le cauchemar des jihadistes de Daech. Sa mosaïque communautaire, la coexistence islamo-chrétienne, son ouverture au monde et sa démocratie, malgré ses imperfections, sont autant d’éléments intolérables pour les extrémistes qui veulent effacer les frontières pour installer leur califat.
Et le Liban, qui se trouve sur leur chemin, a toujours été victime de son environnement géopolitique. Il appartient à une région qui est empoisonnée par trois phénomènes que sont d’une part les tensions entre chiites et sunnites, un jihadisme de plus en plus radical, et enfin un despotisme en Syrie et un sectarisme en Irak qui alimentent les extrémismes. Compte tenu de ce contexte volcanique, le Liban ne peut prétendre rester éternellement à l’abri d’un embrasement, à moins d’une solution régionale doublée d’une entente nationale entre les différents acteurs de la classe politique, qui doivent trouver un compromis pour sauvegarder le pays.