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"En mai, fais ce qu'il te plaît" : quand l'exode de 1940 fait écho à l'actualité

Dans son dernier film, le réalisateur Christian Caron met en scène l'exode de mai 1940 en France, quand huit millions de personnes avaient fui l'offensive allemande. Un épisode qui rappelle ce que vivent les migrants sur les routes européennes.

C’est l’histoire d’un fils qui a voulu faire à sa mère le plus beau des cadeaux pour ses 90 ans : transposer sur grand écran l’un des épisodes les plus marquants de sa vie. Dans son dernier film "En mai, fais ce qu'il te plaît", le réalisateur Christian Carion a mis en images le récit de sa famille de l’exode de mai 1940. "Je l’ai montré à ma mère cet été. Elle m’a autorisé à le projeter !", explique-t-il à France 24. "C’est vraiment ce qu’elle m’a raconté. Elle s’y est totalement retrouvée".

Durant toute son enfance, le metteur en scène a entendu parler de ce drôle de mois de mai. Face à l’implacable offensive allemande, huit millions de Français sont forcés de quitter leur maison et forment "le peuple des routes", comme l’appelle Christian Carion. Dans son petit village de Lebucquière, dans le Pas-de-Calais, sa mère Suzanne, alors âgée de 14 ans, doit aussi fuir avec ses parents. À l’avant du groupe, elle sert d’éclaireuse sur sa bicyclette : "Elle m’a dit quelques fois que c’était peut-être le plus beau mois de sa vie parce que du jour au lendemain, il n’y avait plus d’école. Le mois de mai 1940 a aussi été le plus chaud du XXe siècle. Il n’y avait pas une goutte de pluie et ils dormaient à la belle étoile", raconte le réalisateur. "Ma mère avait un statut et un rôle. Elle trouvait cela génial d’aller dans les maisons pour aller voler à manger. C’était un monde renversé."

Un long-métrage basé sur de vrais témoignages

Dans le film, Christian Carion a légèrement vieilli sa mère. Le rôle de l’éclaireuse est interprété par Alice Isaaz, qui campe l'institutrice du village. Quelque peu insouciante au départ, la jeune fille découvre au fur et à mesure toute l’horreur de la guerre. La légèreté cède peu à peu face à la peur, la faim et la mort, qu'elle découvre aux côtés de Paul, le maire, joué par Olivier Gourmet, et de sa femme Mado, la patronne du bistrot, incarnée par Mathilde Seigner. Même si "En mai, fais ce qu'il te plaît" se veut grand public, Christophe Carion n’a rien voulu cacher de la réalité de cet exode. Avec réalisme, il montre les attaques meurtrières des Stukas allemands, les corps ensanglantés sur les routes et dans les champs du nord de la France.

Pour coller au plus près de cet épisode souvent méconnu de la Seconde Guerre mondiale, le cinéaste ne s’est pas seulement appuyé sur l’expérience de sa mère. Il a aussi collecté pendant des mois des témoignages, après avoir lancé un appel dans les médias locaux. "On a été totalement submergés de courriers et de fichiers audio. Les gens sont allés interviewer leur papy ou leur mamie pour raconter leur histoire. C’est passionnant, car c’est une parole qui se libère", s'enthousiasme-t-il. "Ce sont des choses qu’on ne peut pas imaginer dans un scénario. C’est la puissance de la réalité".

Christian Carion a tout particulièrement été marqué par la lettre d’une dame, qui avait 7 ans à l’époque : "Dans le chaos, elle a perdu ses parents et elle s’est retrouvée toute seule avec son petit frère. Une nuit, ils ont eu peur et se sont réfugiés dans une grange. Ils sont alors tombés sur un soldat allemand qui était blessé et qui leur a demandé de l’aider à mourir. J’ai compris en lisant son courrier qu’elle ne s’en était jamais remise". Un terrible face-à-face que le réalisateur a réussi à retranscrire avec pudeur dans son film.

Comme dans son précédent succès au cinéma "Joyeux Noël", qui traitait des fraternisations durant la Grande Guerre, Christian Carion arrive à faire ressortir d’une période particulièrement sombre quelques lueurs d’humanité. Dans le chaos, les méchants ne sont pas forcément ceux que l’on imagine. Un opposant allemand au régime nazi sympathise avec un soldat écossais pour retrouver son fils, alors que des commerçants français profitent sans aucune pitié de la détresse de leurs concitoyens marchant d’un pas hagard sur les routes.

"Les mêmes images qu’en 1940"

Des situations du passé qui rappellent tristement celles d’aujourd’hui. Les longues files des exilés de 1940 ressemblent à peu de choses près à celles des réfugiés syriens ou irakiens de 2015. Pour le réalisateur de "En mai, fais ce qu'il te plaît", son film résonne indéniablement avec l’actualité : "On voit tous ces gens qui essaient de passer en Europe. Ce sont les mêmes images qu’en 1940. Je n’ai rien calculé car j’ai commencé à l'écrire fin 2012, mais je me dis que mon film tombe malheureusement bien, dans le sens où il ne faut pas oublier que nous sommes nous-mêmes allés sur les routes".

Au cours des projections en avant-première de son dernier long-métrage, il a souvent été interpellé par les spectateurs à ce sujet. Même s’il se défend de tout message politique, Christian Carion espère toutefois faire changer quelques mentalités : "Certaines personnes m’ont dit de ne pas faire l’amalgame entre les deux époques car en 1940, il s’agissait de Français qui fuyaient dans leur propre pays. Je leur ai répondu que pour ma mère, son pays, c’était son canton. Quand elle en a franchi les limites, elle s’est sentie comme à l’étranger", insiste Christian Carion. "Les frontières d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes qu’en mai 40, mais le sentiment d’être exilé quelque part est le même."