À trois mois d'une présidentielle qui s'annonce difficile, le parti au pouvoir à Taïwan entend bien tirer profit de la rencontre historique annoncée entre Tapei et Pékin. Une stratégie à double tranchant, jugent les observateurs.
"Historique", "symbolique"… La rencontre annoncée entre le dirigeant taïwanais Ma Ying-jeou et son homologue chinois Xi Jinping, samedi 7 novembre à Singapour, constitue, depuis la fin de la guerre civile en 1949, une première dans l’histoire des deux pays aux régimes politiques antagonistes. Mais, pour nombre d’observateurs, l’entrevue a également une visée électorale dont Pékin et le parti taïwanais au pouvoir entendent tirer profit.
La réunion aura lieu en effet moins de trois mois avant la présidentielle taïwanaise qui s’annonce difficile pour Eric Chu, le candidat du Kuomintang (KMT), la formation au pouvoir qui, sous l'égide de l’actuel président Ma Ying-jeou, a opéré un rapprochement avec Pékin. Selon Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), ce sommet témoigne de la volonté de la Chine de donner un coup de pouce au KMT. "L’image du parti s’est dégradée ces dernières années et Pékin considère qu’il doit soutenir pleinement Eric Chu", affirme le chercheur à France 24.
La Chine considère toujours l'île comme partie intégrante de son territoire et entretient l'idée qu’elle rentrera un jour volontairement dans son giron, si ce n'est par la force. De part et d'autre du détroit de Formose, les zones côtières sont fortement militarisées et la méfiance règne. Mais, avec l'arrivée au pouvoir en 2008 de Ma Jing-yeou, qui a vendu à son électorat l'idée qu'une approche plus pragmatique serait bonne pour la prospérité, le climat s'est réchauffé.
Scepticisme ambiant
“Le KMT essaie de faire en sorte que l’amélioration des relations avec Pékin recueille un certain consensus à Taïwan", indique Jean-Vincent Brisset, tout en affirmant que la crainte d’une influence grandissante de la Chine reste forte parmi les électeurs de l’île. Car si la politique du rapprochement a bénéficié au commerce et au tourisme, elle fait cependant grincer des dents. "Les Taïwanais craignent surtout pour leur économie et cela depuis 2010, l’année d’un accord de coopération économique entre Taïwan et la Chine. Les habitants ont peur pour l’industrie et l’agriculture de l’île qui pourraient être sérieusement concurrencées par le mastodonte économique chinois", précise Pierre-Philippe Berson, le correspondant de France 24 en Chine.
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Par ailleurs, nombre de Taïwanais ont observé d'un œil méfiant le comportement de Pékin envers l'ancienne colonie britannique de Hong Kong, rattachée en 1997, où les promesses de renforcement des libertés démocratiques sont restées lettre morte.
Le principal parti d'opposition taïwanais, le Parti démocratique progressiste (PDP), dont la position traditionnelle est de réclamer une déclaration officielle d'indépendance, devrait bénéficier du scepticisme ambiant. Le sommet aussi "pourrait se retourner contre le KMT, Eric Chu et la Chine. Beaucoup d'électeurs taïwanais vont réagir négativement contre tout ça, contre une ingérence plus forte dans leurs affaires intérieures et dans le processus politique démocratique", commente à l’AFP Jean-Pierre Cabestan, professeur de sciences politiques à l'Université baptiste de Hong Kong.
Mercredi, à l’annonce de la rencontre entre les deux dirigeants, une cinquantaine de Taïwanais se sont réunis devant le Parlement afin de dénoncer la politique du président, accusé de vendre l'âme de Taïwan à la Chine.
Statu-quo
La candidate du PDP, Tsai Ing-wen, a fait savoir qu'elle chercherait à maintenir le "statu quo" en cas de victoire, ce qui, d'après les analystes, désigne une indépendante de facto jamais officiellement déclarée. De nombreux membres de son parti exigent que l'indépendance soit explicitement déclarée. Au risque de provoquer une réponse agressive, et potentiellement armée, de Pékin.
Pour les partisans de Tsai Ing-wen les plus pragmatiques, le "statu quo" permettra à l'île de bénéficier des retombées économiques émanant du géant chinois tout en maintenant le système d'auto-gouvernance auquel sont attachés de nombreux Taïwanais. L’actuel président Ma Ying-jeou défend, lui, sa politique en affirmant qu'elle a apaisé la région et le KMT a prévenu qu'une victoire du PDP serait synonyme de déstabilisation.
En définitive, "les élections qui s'approchent constituent un risque supplémentaire pour les deux parties", comme l’a analysé à l’AFP John Ciorciari, professeur à l'Université du Michigan.
Avec AFP