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Opération terrestre contre l'EI en Syrie : la drôle d’hypothèse de Manuel Valls

Devant les députés, Manuel Valls a indiqué mardi que la France serait prête à appuyer des opérations au sol en Syrie qui seraient menées par une coalition régionale de pays arabes. Mais de quels pays parle-t-il ?

"Si une coalition de pays de la région se formait pour aller libérer la Syrie de la tyrannie de Daech [autre nom de l'organisation de l'État islamique, NDLR], alors ces pays auraient le soutien de la France", a indiqué pour la première fois Manuel Valls, mardi lors du débat à l’Assemblée nationale sur l’engagement des forces aériennes françaises en Syrie.

En évoquant une telle hypothèse de façon très officielle, Manuel Valls faisait-il allusion à une option qui est, ou qui a été un temps, sérieusement envisagée par les pays arabes et les Occidentaux, ou s’agissait-il d’une vue de l’esprit, exprimée spontanément dans l’hémicycle ?

Prenons toutefois le Premier ministre au mot, et passons en revue la liste des "pays de la région" qui seraient réellement partants pour envoyer des troupes au sol contre l'EI. Et ce, en commençant logiquement par les États qui partagent une frontière avec la Syrie de Bachar al-Assad, à savoir le Liban, l’Irak, la Turquie, la Jordanie et Israël.

Le Liban et l’Irak soucieux de leur propre sécurité

Le cas du pays du Cèdre est le plus facile à régler. Le Liban est toujours privé de président depuis mai 2014, tandis que le gouvernement et la classe politique du pays font l’objet d’une forte contestation dans la rue, sur fond de scandales de corruption. L’armée libanaise elle, est prioritairement chargée, malgré un manque criant de moyens et d’équipements, d’empêcher les incursions de jihadistes depuis la Syrie voisine.

L’Irak de son côté a déjà fort à faire sur son propre sol, puisque l’EI est bien ancré dans la totalité des régions à majorité sunnite, dans l’ouest et le nord d’un pays ingouvernable en raison des tensions entre sunnites et chiites. L’armée irakienne, appuyée par les raids aériens de la coalition internationale et soutenue par des milices chiites pro-iraniennes, est engagée dans une guerre contre l’EI, qui consiste autant à contenir les jihadistes qu’à leur reprendre du terrain. Avant d’envoyer des hommes au sol en Syrie, le gouvernement irakien pense donc surtout à se protéger de l’EI sur son territoire.

Pour Erdogan, le cas du PKK passe avant celui de l’EI

La Turquie mène quant à elle une "guerre contre le terrorisme", depuis fin juillet, d'une part contre les jihadistes de l’EI et d'autre part contre les séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Sauf que le président Tayyip Recep Erdogan semble plus déterminé à anéantir le PKK, dans le sud-est à majorité kurde du pays, que l’EI en Syrie. Si Ankara avait un temps envisagé d’intervenir chez son voisin syrien, afin de repousser loin de ses frontières l’EI et surtout d'empêcher la progression des forces kurdes dans le nord de la Syrie, pour Erdogan désormais, le dossier kurde passe avant toute autre question.

Craignant la montée en puissance des groupes jihadistes en Syrie voisine, la Jordanie fait partie de la coalition arabo-occidentale, dirigée par Washington, qui mène, depuis août 2014, des raids aériens contre les positions de l’EI, en Syrie et en Irak. Le sort réservé à l’un de ses pilotes capturé par les jihadistes et brûlé vif en Syrie, a marqué les esprits dans le pays, où les appels à la vengeance s’étaient multipliés. Mais, concentrée sur la sanctuarisation de ses frontières, Amman sera difficile à convaincre d’envoyer des hommes dans le bourbier syrien.

Des pays du Golfe occupés à préparer la bataille de Sanaa

Concernant l’État hébreu, on ne peut faire injure à Manuel Valls en pensant qu’il l’incluait dans son hypothèse. Jusqu’ici, l’armée israélienne s’est contentée de mener quelques frappes aériennes ciblées sur le territoire syrien, visant surtout des infrastructures de l’armée de Bachar al-Assad et des convois qu’elle soupçonne de transporter des cargaisons d’armes sensibles au Hezbollah libanais. L’axe Téhéran-Damas reste au cœur des préoccupations de Benjamin Netanyahou, plus que l’EI.

En fin de compte, le Premier ministre français pensait peut-être aux pays du Golfe, qui n’hésitent pas à dépêcher des soldats sur le terrain. Après le Bahreïn en 2011, où le Conseil de coopération du Golfe (CCG) avait envoyé des soldats mater la contestation chiite, les pétromonarchies sont actuellement fortement occupées au Yémen. L’Arabie saoudite et ses alliés sunnites préparent en effet activement la bataille de Sanaa, pour arracher la capitale yéménite aux rebelles houthis.

Et pour ce faire, ils ont déployé des milliers de soldats et des centaines de blindés. Concernant la Syrie ; soucieux de faire tomber le régime du clan Assad, qui reste leur priorité, les pays du Golfe ont apporté, depuis le début du conflit, un important soutien financier et logistique à toutes sortes de groupes islamistes armés. Une intervention indirecte au sol, sous-traitée, qui leur convient jusqu’ici.

Autant dire, après ce tour d’horizon, que l’hypothèse de soutenir une coalition "de pays de la région" chargée de combattre l’EI sur le terrain, soulevée par Manuel Valls, reste à court et moyen terme, de l’ordre de l’utopie.