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Du Maroc à Madagascar, la génération Z fait sonner la révolte au-delà des frontières
Depuis 2022, une série de soulèvements menée par la génération ultra connectée née à partir du milieu des années 1990 fait trembler les élites vieillissantes et corrompues de plusieurs pays du Sud. Après le Népal, Madagascar et le Maroc apparaissent comme les derniers exemples de ces mobilisations où se mêlent colère sociale et solidarité numérique.
Dans le monde entier, la Gen Z invente de nouvelles formes de mobilisation. © AFP / Studio graphique de France 24

Un cliché tenace la dépeint comme apathique et peu intéressée par la politique. Mais ces dernières semaines elle a offert un sérieux démenti. En témoignent les images d'une génération Z en révolte dans les rues de Katmandou au Népal, de Jakarta en Indonésie mais aussi de Rabat au Maroc et d'Antananarivo à Madagascar, deux pays africains où la mobilisation se poursuit mercredi 1er octobre.

Depuis une semaine, la grande île de l'océan indien est secouée par un mouvement de contestation inédit né sur les réseaux sociaux à l'appel de "Gen Z Madagascar", un groupe informel composé pour l'essentiel de jeunes et d’étudiants qui se revendique "pacifique et citoyen". Si la jeunesse représente l'écrasante majorité des habitants de Madagascar dont les deux tiers avaient moins de 30 ans en 2023, selon l'Unicef, jamais la Gen Z n'avait pris une part aussi active dans un mouvement de contestation politique.

"Ce mouvement est avant tout inédit par sa forme profondément horizontale, spontanée et décentralisée. Contrairement aux mobilisations du passé portées ou récupérées par des partis politiques, des syndicats ou des figures charismatiques, celle-ci est née d'une indignation collective organique, principalement dans des espaces numériques, et s'est structurée sans leader unique", décrypte Ketakandriana Rafitoson, enseignante-chercheure en Science politique à l'Université catholique de Madagascar et membre de Transparency International.

"Cela lui donne une puissance symbolique nouvelle car elle ne répond pas à une logique de conquête du pouvoir, mais à un impératif existentiel, celui de réclamer un avenir vivable", conclut l'experte. 

Une culture numérique commune

Avec sa maîtrise des codes d'internet, la Gen Z a réussi à mobiliser une large part de la population dans plusieurs pays à coups de hashtags, de visuels boostés à l'IA, de vidéos au montage frénétique mais aussi d'une bonne dose de sarcasmes. Exemple avec la proposition d'Andry Rajoelina, le chef de l'État malgache, de sélectionner les candidats à des postes ministériels sur LinkedIn, tournée en ridicule par les jeunes internautes de l'île.

Du Maroc à Madagascar, la génération Z fait sonner la révolte au-delà des frontières
Un compte d'une internaute malgache tourne en dérision la proposition du président de postuler à des postes ministériels sur le réseau Linkedin. © Capture d'écran X

Cette colère sociale portée par une jeunesse connectée et révoltée contre les inégalités s'inscrit dans un mouvement transfrontalier qui a déjà touché plusieurs pays d'Asie ces derniers mois comme au Népal début septembre où le gouvernement a été balayé en quelques jours, aux Philippines ou encore en Indonésie. Avant cela, le Bangladesh, le Sri Lanka mais aussi le Kenya avaient connu des mouvements similaires.

Au Maroc, des milliers de jeunes, actifs sur la messagerie Discord, manifestent depuis samedi à l’appel d'un mouvement qui se revendique lui aussi de la Gen Z. Également Inédit par son organisation et ses modes d'actions, ses revendications s'inscrivent toutefois dans la continuité des précédents soulèvements sociaux dans le Royaume, estime le sociologue Mehdi Alioua, sociologue à Sciences Po Rabat-UIR. 

"On retrouve finalement les mêmes slogans avec une demande d'une vie plus digne, d'une meilleure répartition des richesses, et surtout de systèmes scolaires et médicaux qui fonctionnent. Ces jeunes voudraient jouer le jeu de la méritocratie, mais constatent que les dés sont pipés", affirme le chercheur.

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Du Maroc à Madagascar, la génération Z fait sonner la révolte au-delà des frontières
Maroc : des heurts lors de manifestations inédites de jeunes © FRANCE 24
01:11

À Madagascar, les manifestants revendiquent directement l'influence de ces mouvements asiatiques nés à plusieurs milliers de kilomètres, mais rendus proches par une culture numérique transnationale et des préoccupations communes, à commencer par la lutte contre les inégalités et la corruption. 

"Les protestations au Népal ont été un moment clé pour la création du mouvement Gen Z Madagascar. Relayé largement sur les réseaux sociaux, ces protestations en Asie ont joué un rôle majeur dans l'éveil collectif dans le pays", explique une membre du mouvement qui préfère garder l'anonymat pour des raisons de sécurité.

"Ce qui s'est passé au Népal a redonné espoir à la population malgache que c'était possible de renverser le système, que les jeunes peuvent prendre leur destin en main et que la situation du pays n'était pas une fatalité. A partir de là, des petites voix ont commencé à se faire entendre et ces dernières se sont assemblées sous le mouvement Gen Z Madagascar", raconte la jeune femme de 26 ans.

Symbole de cette solidarité numérique : le drapeau pirate du manga japonais "One piece" vu aussi lors des contestations en Indonésie ou au Népal. À Madagascar, les manifestants utilisent une version remaniée où le chapeau de paille du personnage est remplacé par un couvre-chef traditionnel.

"Un moment de bascule"

Moins focalisée sur la chasse aux "népo-kids", cette jeunesse dorée asiatique qui expose un train de vie fastueux sur internet, la contestation au Maroc et à Madagascar s'attache toutefois à exposer les écarts de richesse entre la classe dirigeante et le citoyen moyen.

Parmi les publications les plus populaires de l'internet malgache figurent notamment des visuels de l'ainé de la famille Rajoelina, diplômé d'une école hôtelière suisse à 150 000 euros l'année, alors les deux tiers de la population vivent avec moins de deux dollars par jour.

Du Maroc à Madagascar, la génération Z fait sonner la révolte au-delà des frontières
Capture d'écran d'un compte X dénonçant le train de vie de la famille du chef de l'Etat malgache. © Capture d'écran X

Autre dénominateur commun de tous ces mouvements : l'appel à une réorientation des priorités de l'action public. À Madagascar, c'est le coûteux téléphérique d'Antanarivo, jugé déconnecté des besoins de la population, qui cristallise une partie de la colère de la jeunesse.

Au Maroc, les manifestants pointent du doigt les sommes pharaoniques investies dans la rénovation de plusieurs stades pour la prochaine Coupe d'Afrique des nations et le Mondial 2030 au détriment des services publics.

"Il y a une interconnexion de la gen Z, en particulier celle des pays du Sud global, dont les aînés ont mené la révolution décoloniale. Mais aujourd'hui, il y a une fracture générationnelle car ces jeunes estiment que les promesses d'une nation indépendante avec des institutions qui fonctionnent n'ont pas été tenues à 100 %", explique Mehdi Alioua.

"Les points communs sont frappants entre tous ces mouvements à la fois en termes de revendications et de modes d'action avec des campagnes virales, des slogans simples et inclusifs, ainsi que le refus d'une hiérarchie classique. Dans tous ces pays, la jeunesse agit comme le révélateur d'une crise d'État profonde", analyse Ketakandriana Rafitoson.

Créatifs, audacieux et insaisissables, ces mouvements de la Gen Z restent toutefois vulnérables à la fragmentation et à la récupération politique. Comment passer de l'expression de la colère à une véritable stratégie ? Comment éviter d'être phagocyté par des partis traditionnels ? 

Malgré ces réserves, ces mouvements ont déjà démontré leur capacité à faire bouger les lignes en faisant tomber des gouvernements même si les défis sociaux restent énormes.

"La Gen Z n'a peut-être pas encore de projet politique formalisé. Toutefois, elle a déjà changé les termes du débat avec l'idée qu'il ne s'agit plus de survivre dans un système défaillant, mais de le transformer radicalement", estime Ketakandriana Rafitoson. "Ce n'est pas une révolte passagère, mais c'est un changement générationnel profond qui est en marche. Nous vivons peut-être aujourd'hui à travers le monde un moment de bascule".