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Plan de paix en Ukraine : une cacophonie qui profite à la Russie
Les initiatives pour amender, améliorer, ou revenir sur le controversé plan de paix russo-américain en Ukraine se multiplient. Une cacophonie diplomatique qui joue en faveur de la Russie.
Le président russe Vladimir Poutine ne semble pas prêt à faire de compromis sur ses objectifs de guerre en Ukraine. AP

Dans la cacophonie diplomatique actuelle, la Russie distribue les bons et les mauvais points. Moscou a qualifié, lundi 24 novembre, la contre-proposition européenne pour la paix en Ukraine de "contre-productive", après avoir salué l'effort américain qui avait débouché, la semaine dernière, au très controversé plan de 28 points.

"La Russie a adopté la posture de l’adulte dans la pièce qui attend que les plus jeunes arrêtent de se chamailler et se mettent d’accord", note Will Kingston-Cox, spécialiste de la Russie à l'International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

Le Kremlin "doit adorer la situation"

Comme si Moscou cherchait à jouer les arbitres en fin de partie. Pourtant, la séquence diplomatique en cours doit beaucoup à l’initiative russo-américaine négociée en toute discrétion par les émissaires des deux pays, visant à mettre un terme au conflit de grande ampleur en Ukraine débuté en février 2022.

Cet inventaire de conditions de paix épousant la plupart des revendications russes avait été très fraîchement accueilli par les Européens et l’Ukraine, laissés sur le banc de touche diplomatique.

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Plan de paix en Ukraine : une cacophonie qui profite à la Russie
© France 24
01:48

L’UE a promis de proposer un plan alternatif, davantage aligné avec les intérêts ukrainiens. Lundi, les négociations  "avançaient" sur un texte européen. Aux États-Unis, la situation n’était pas beaucoup plus claire : si le président Donald Trump a mis la pression sur le président ukrainien Volodymyr Zelensky pour accepter le plan de 28 points avant le 27 novembre, son ministre des Affaires étrangères, Marco Rubio, a assuré que le texte ne représentait pas la version définitive. Il a négocié avec le président ukrainien, lundi, pour essayer de donner l’impression d’associer Kiev au processus diplomatique.

"Les Russes doivent adorer cette situation d’incertitude et de divisions entre les alliés occidentaux de l’Ukraine", affirme Stephen Hall, spécialiste de la Russie à l’université de Bath. "C’est gagnant-gagnant pour Vladimir Poutine : soit l’Ukraine accepte le plan de paix initial qui va fortement dans le sens russe, soit Volodymyr Zelensky refuse et Moscou peut se présenter comme le promoteur de la paix contrarié, tout en semant la discorde entre les États-Unis et l’Europe", ajoute Natasha Lindstaedt, spécialiste des régimes autoritaires à l’université d’Essex.

L’agence de presse officielle russe Tass a d’ailleurs commencé à publier des dépêches en ce sens. "En élaborant leur propre version du plan de paix, les Européens cherchent délibérément à compliquer, voire à perturber les négociations", affirme à Tass Pavel Feldman, un politologue russe.

Pour les experts interrogés par France 24, il n’est même pas sûr que Vladimir Poutine aurait accepté de signer le fameux premier plan de paix de 28 points, perçu comme le plus pro-russe jamais concocté. "En trois ans de guerre en Ukraine, la Russie n’a jamais donné l’impression d’être prête à accepter autre chose qu’une capitulation de l’Ukraine selon les conditions fixées par la Russie seule", souligne Joanna Szostek, spécialiste de la communication politique russe à l'université de Glasgow (Écosse).

Profiter d'un Zelensky affaibli ?

Si le plan en 28 points s’approchait de cet idéal russe, il n’y était pas à 100 %. "Il y a la garantie de sécurité offerte à l’Ukraine contre toute agression future russe, qui ne peut pas plaire à Moscou. L'accord prévoit aussi un statut spécifique pour les régions Zaporijjia et Kherson, qui sont pourtant revendiquées par la Russie", souligne Joanna Szostek.

Le camp russe semble donc avoir accepté d’inclure des dispositions qui, le cas échéant, pourraient lui permettre de faire traîner les négociations encore et toujours.

Pourquoi alors avoir pris l’initiative avec les États-Unis de remettre la question du plan de paix sur le tapis, alors même que l’armée russe semble gagner du terrain en Ukraine ? "Les médias russes sont moins intéressés par la question des négociations de paix que par l’avancée militaire russe", confirme Joanna Szostek.

Pour le Kremlin, c’était cependant le meilleur moment possible pour pousser ses pions diplomatiques.

D’abord parce que Volodymyr Zelensky doit actuellement faire face à un scandale de corruption qui fragilise son pouvoir. Les autorités américaines et russes "ont pu avoir l’impression, à tort ou à raison, que le président ukrainien serait davantage enclin à céder sous la pression", suggère Andreas Umland, spécialiste de la Russie et de l’Ukraine à l’Institut suédois des affaires internationales. 

Surtout, Moscou pouvait craindre le retour d’un consensus transatlantique sur la fermeté à l’égard de la Russie. L’Europe n’a jamais vraiment varié sur cette question, et les États-Unis de Donald Trump - pourtant plus sensibles aux arguments de Vladimir Poutine - s’apprêtent à voter de nouvelles sanctions sévères contre la Russie. Avec le controversé plan de paix, "Vladimir Poutine a offert à Donald Trump un moyen de faire pression sur Volodymyr Zelensky plutôt que sur lui", souligne Natasha Lindstaedt.

Diviser le camp occidental

Le fait de garder secret aussi longtemps que possible les résultats des négociations entre Steve Witkoff - l’envoyé de Donald Trump - et Kirill Dmitriev - l’émissaire de Vladimir Poutine - a débouché sur une situation où personne ne comprend vraiment quelle est la position de chacun", estime Stephen Hall.

En effet, Marco Rubio, le ministre américain des Affaires étrangères, semble avoir été pris au dépourvu par ces 28 propositions. Il a tenté de reprendre la main "en incarnant une position plus pro-ukrainienne, mais cela ne donne pas l’impression d’une administration américaine qui tient fermement un cap donné", ajoute cet expert.

Ce flou politique outre-Atlantique a pu donner l’impression à l’Union européenne qu’elle avait une carte à jouer. Mais l’Union européenne a peiné à présenter un front uni derrière un texte. "Il y a eu plusieurs versions du texte, ce qui suggère des désaccords", souligne Stephen Hall.

"L’idée pour Moscou est de montrer que l’avenir de l’Ukraine divise l’Occident, ce qui renforce l’image d’une Russie forte et unie derrière un objectif précis", explique Will Kingston-Cox.

Pendant que tout le monde observe et participe à ce qu’Andreas Umland qualifie de théâtre des négociations", les États-Unis ne se concentrent pas sur l’imposition de nouvelles sanctions et la livraison d’armes à l’Ukraine qui seraient de meilleurs moyens de forcer la Russie à mettre un terme à la guerre".