Après plusieurs années de production, le film que le réalisateur Majid Majidi consacré à l’enfance du prophète Mahomet sort mercredi dans les salles iraniennes. Un long-métrage que les tenants de l’islam sunnite ne voient pas d’un bon œil.
Depuis sept ans, le projet est au centre d’une brouille entre l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite. Mercredi 26 août, "Mahomet", premier volet d’une trilogie consacrée à la vie du prophète, sort sur les écrans de la République islamique. Réalisé par Majid Majidi, l'un des cinéastes iraniens les plus reconnus à l’international, cette grosse production (voir encadré ci-dessous) entend en finir avec "l'image violente" de l'islam.
"Des pays comme l'Arabie saoudite auront des problèmes avec ce film mais beaucoup d'autres pays musulmans l'ont réclamé", affirme le réalisateur interrogé par l’AFP. De fait, les théologiens sunnites considèrent toute représentation du prophète comme une incitation à l'idolâtrie, le premier des péchés. En 2012 déjà, alors que le film était encore en production, Riyad avait immédiatement fait part de son opposition. "Les Iraniens mêlent à la religion beaucoup de traditions persanes qui n'ont rien à voir avec l'islam", avait dénoncé dans le quotidien "Al-Sharq Al-Awsat" un membre de la Commission des affaires étrangères saoudienne.
Avec un budget d'environ 40 millions de dollars (34 millions d'euros), en partie financé par l'État, "Mahomet" est le long-métrage le plus cher de l'histoire du cinéma iranien. Un film à gros budget qui a nécessité sept années de production ainsi que la reconstitution, au sud de Téhéran, de la ville de La Mecque.
Outre sa sortie dans 143 salles en Iran, ce film de deux heures sera projeté jeudi en ouverture du festival du film de Montréal où Majid Majidi espère susciter l'intérêt de distributeurs européens.
Plus récemment, au début de l'année, le grand imam de l'université Al-Azhar du Caire, Ahmed al-Tayeb, une des plus hautes autorités de l'islam sunnite, avait rappelé son opposition à toute représentation du prophète, affirmant que cela équivalait "à rabaisser son statut spirituel".
"Mauvaise lecture" de l’islam
Pour Majid Majidi, ancien acteur de 56 ans qui a réalisé une bonne dizaine de films dont plusieurs primés à l'étranger ("Le Secret de Baran", "Les Enfants du ciel", etc.), le choix du sujet était pourtant évident. "Ces dernières années, une mauvaise lecture de l'islam dans le monde occidental en a donné une image violente qui n'a strictement aucune relation avec sa vraie nature", affirme-t-il.
Aux yeux du cinéaste, cette interprétation fallacieuse vient "de groupes terroristes" comme "l'État islamique qui n'ont pas de lien avec l'islam dont ils ont volé le nom" et qui veulent en projeter "une image terrifiante dans le monde". "En tant qu'artiste musulman [...] mon objectif était de créer une vision [de l'islam] qui change de celle qu'a l'Occident" et qui se résume souvent à un "terrorisme islamique attaché à la violence", affirme le metteur en scène. Or, d'après lui, "l'islam c'est la concertation, la bonté et la paix".
Selon Majid Majidi, "Mahomet" ne dépeint pas le prophète lui-même mais le monde tyrannique qui l'entoure tel qu'il le voit à travers ses yeux d'enfant, de sa naissance à l'âge de 13 ans. Par un jeu d'effets spéciaux, son visage n'apparaît jamais, "mais on voit sa silhouette et son profil". Ce qui "peut être dénoncé par les plus radicaux", reconnaît le cinéaste.
Le réalisateur iranien se défend de vouloir diviser les musulmans sunnites et chiites qui se déchirent pourtant dans plusieurs pays de la région, de l'Irak au Yémen en passant par la Syrie. "Il n'y avait pas de querelle à cette période" entre les deux grands courants à l'époque de Mahomet, précise-t-il.
Conscient qu’"on ne peut pas changer la mauvaise image de l'islam avec un seul film", Majid Majidi indique que "Mahomet" aura une suite. Mais les autres productions ne seront pas "nécessairement réalisées par moi-même", affirme-t-il, invitant "tous les cinéastes musulmans" à suivre la voie.
Querelle par films interposés
Un précédent film sur Mahomet, "Le Message", avait été réalisé en 1976 par le cinéaste américain d'origine syrienne Moustafa Akkad. Il comportait deux versions, anglaise et arabe, avec des acteurs différents, Anthony Quinn et Irène Papas étant les stars de celle en anglais. À l'époque, "Le Message" avait suscité la polémique et plusieurs salles où il était projeté avaient reçu des menaces de musulmans radicaux le jugeant blasphématoire.
En 1996, une série télévisée mettant en scène l’imam Ali, que les chiites considèrent comme le véritable successeur de Mahomet, s’était également attiré les foudres de Riyad, "qui avait proposé de la racheter en totalité pour éviter sa diffusion", rappelait en 2012 l’historienne du cinéma Agnès Devictor dans "Le Monde".
Malgré une industrie cinématographique quasi inexistante, il arrive que l’Arabie saoudite fasse elle aussi valoir sa vision de l'islam par le biais de productions audiovisuelles. En 2012, la diffusion à la télévision saoudienne d’un feuilleton chantant les louanges du deuxième calife Omar ibn Al-Khattâb, adversaire de l’imam Ali, avait ainsi passablement irrité Téhéran.
Avec AFP