
Réuni en séance plénière à Dublin, Amnesty International a voté mardi en faveur de la dépénalisation de tous les "travailleurs du sexe", c'est-à-dire des prostituées comme des proxénètes. Une position fustigée par les milieux associatifs.
C'est une décision qui fait polémique dans les milieux associatifs de défense des femmes et des droits de l’Homme. L’ONG Amnesty international, qui s’est réunie en session plénière du 7 au 11 août à Dublin, a voté mardi en faveur de la dépénalisation de l’ensemble des "travailleurs du sexe". Cette position concerne donc les prostitués, mais aussi… les proxénètes.
Sans surprise, cette décision "qui fut difficile à prendre", selon les termes de Salil Shetty, secrétaire général de l’ONG, a provoqué l’incompréhension de plusieurs milieux associatifs. "Légaliser ceux qui exploitent les personnes prostituées n'est pas la bonne façon de procéder", a ainsi estimé Esohe Aghatise, d'Equality Now. "Il n'y a aucune logique dans l'idée que pour protéger ceux qui sont exploités, il faut protéger les exploiteurs. Cela n'a aucun sens", a asséné de son côté la directrice de la Coalition contre le trafic des femmes (CATW), Taina Bien-Aimé.
"Éviter que les prostituées aillent travailler au fond des bois"
Et pourtant, si, il y a une logique, se défend Amnesty. Il serait contre-productif, estime l'ONG, de criminaliser tous les acteurs du travail du sexe, "c’est-à-dire les prostituées mais aussi les personnes choisies pour assurer leur sécurité, ou celles qui leur louent un logement pour se regrouper et éviter qu’elles n’aillent travailler au fond des bois… En clair, toutes ces personnes qui ont plus de 18 ans, qui exercent dans ce secteur de leur plein gré et sans coercition", continue Catherine Godard, directrice de l’action d’Amnesty international France, contactée par France 24.
Aux yeux d'Amnesty, pénaliser l’intégralité du secteur, reviendrait surtout à renforcer la clandestinité des prostituées et donc, augmenter leur vulnérabilité. Une telle mesure les empêcherait d’organiser leur propre sécurité, d’aller porter plainte en cas de violence et restreindrait aussi leur accès aux soins et au logement. "Depuis deux ans, toutes les études que nous avons menées sur le terrain ont montré que plus on s’attaquait à tous les acteurs de la prostitution, plus on fragilisait les prostituées", ajoute la directrice d'Amnesty international France.
Amnesty contre le travail forcé ou l'esclavage sexuel
L’association reconnaît que la question est sensible et complexe. Mais elle s’offusque des mauvaises interprétations de son annonce en faveur d'une dépénalisation des travailleurs du sexe. "Nous n’appelons absolument pas à protéger et à dépénaliser les trafiquants, les proxénètes, tous ceux qui 'exploitent' les travailleurs. Il ne s’agit pas de libéraliser tout le secteur sans aucune contrainte", souligne encore Catherine Godard.
L’ONG de défense des droits humains ne cautionne "évidemment pas" les filières organisées de prostitution qui exploitent des jeunes filles, des femmes ou des enfants contre leur gré, se justifie Catherine Godard. La position de l’association reste la même en ce qui concerne le "travail forcé, la traite des humains, ou l’esclavage sexuel."
(Contre)-exemple allemand
Les divergences législatives majeures constatées entre les pays européens illustrent à quel point le sujet est tout sauf consensuel. Il y a deux mois, les députés français ont voté un projet de loi qui vise à pénaliser les clients des prostitué(e)s. Si le Sénat valide ce texte, la France rejoindra la Suède et la Norvège au sein de la minorité de pays européens qui imposent de telles sanctions.
>> À voir sur France 24 : "Abolition de la prostitution : liberté ou répression ?"
Dans la majorité des autres pays d'Europe, qui punissent tous le proxénétisme et les trafics, la prostitution est soit réglementée (par exemple en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas ou en Belgique), soit tolérée. Mais est-ce pour autant la panacée ? En Allemagne, par exemple, la légalisation de la prostitution en 2012 n'a pas permis d'améliorer les conditions de travail et de vie des travailleuses du sexe. Elle a, au contraire, perverti la réglementation des maisons closes, devenues pour certaines des "bordels discount", où le client peut "s'offrir" autant de filles qu'il le désire pour un prix modique, souvent payées au lance-pierre, surveillées voire séquestrées.
"L'Allemagne est devenu le bordel de l'Europe", a même déploré Hans-Peter Uhl, membre du parti conservateur bavarois CSU. Le gouvernement allemand a donc décidé en 2014 de mettre au point une nouvelle législation pour mieux réglementer le secteur. Mais durcir la réglementation ne pousserait-elle pas les prostituées d'Allemagne dans la clandestinité et donc, dans plus de violence, comme le craint Amnesty international, aujourd'hui ?
Avec AFP