Peine de mort rétablie, garde à vue prolongée… Cible des islamistes nigérians de Boko Haram, le Tchad a adopté un projet de loi durcissant le dispositif pénal de la lutte contre le terrorisme. Des organisations craignent une dérive liberticide.
Ça s’en va et ça revient. Quelques mois seulement après son abolition, N’Djamena a réintroduit, la peine de mort, jeudi 30 juillet, afin de punir les auteurs d'actes "terroristes" au Tchad, devenu la cible des islamistes nigérians de Boko Haram.
Plus d'une centaine de combattants islamistes et deux soldats tchadiens ont été tués lors de la vaste offensive lancée contre Boko Haram il y a 15 jours sur les îles du lac Tchad, a affirmé l'armée tchadienne dans un communiqué diffusé jeudi 30 juillet.
"117 terroristes ont été tués, deux militaires tchadiens ont trouvé la mort et deux autres blessés" sur le lac Tchad, où de nombreux insurgés nigérians de Boko Haram se sont réfugiés ces derniers mois, selon le porte-parole de l'armée, le colonel Azem Bermendoa Agouna, qui a précisé que l'opération se poursuivait. Ce bilan n'a pu être confirmé de source indépendante.
Le pays, en pointe dans la coalition régionale formée début 2015 contre les insurgés (voir encadré ci-contre), a été frappé à deux reprises par des attentats-suicides en moins d'un mois. Une première. Le président tchadien, Idriss Déby Itno, au pouvoir depuis 1990, a affirmé mi-juillet qu'il ne "reculerait jamais" devant les jihadistes qui, après avoir subi de lourdes défaites, ont intensifié leurs raids ces dernières semaines.
C'est dans ce contexte que, après plusieurs heures de vifs débats, le Parlement tchadien a adopté le projet de loi antiterroriste soumis par le gouvernement. Mais en le durcissant considérablement.
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Les députés ont en effet remplacé les "peines à perpétuité" prévues dans le texte initial pour les cas les plus graves par des "peines de mort". Un choix qui a de quoi surprendre puisque la peine capitale avait été abolie il y a environ six mois.
De la même façon, les députés ont remplacé par des "peines à perpétuité" les peines de huit à 20 ans de prison prévues dans la première version du texte. S'agissant de la garde à vue, les élus ont là aussi nettement durci les choix du gouvernement. Alors que l'exécutif prévoyait déjà de faire passer à 15 jours, renouvelables deux fois, la durée maximale d'une garde à vue - jusque-là de 48 heures -, les députés se sont accordés sur une durée de "30 jours", renouvelable jusqu'à deux fois.
Débats houleux
La loi a été votée dans la soirée par 146 voix pour, 0 contre et 0 abstention. Une quarantaine de députés étaient absents, dans une assemblée largement dominée par les partis favorables au pouvoir. Les débats ont toutefois été houleux. Ce sont des amendements proposés par la commission des lois qui ont permis de parvenir à un consensus.
Les débats ont surtout porté sur l'article 14 du texte de loi et sa définition du "terrorisme", jugée trop vague par l'opposition et les défenseurs des droits de l'Homme, qui redoutaient des dérives liberticides.
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Le texte vise en effet les auteurs "d'actes, de menaces (attentats, prises d'otages, etc.) commis par une organisation pour créer un climat d'insécurité, exercer un chantage sur le gouvernement ou satisfaire une haine à l'égard d'une communauté, d'un pays, d'un système". Sont également visés les actes portant atteinte au "fonctionnement régulier du service public".
Cette définition "expose les organisations de la société civile, les partis politiques à des répressions sous couvert du terrorisme", ont affirmé la Ligue tchadienne des droits de l'Homme (LTDH), l'Union des syndicats du Tchad et le Syndicat des enseignants du Tchad dans un communiqué conjoint.
Mais le texte amendé par les députés stipule désormais qu'"est exclue du champ de cette définition (du terrorisme) toute action individuelle ou collective relevant de l'expression des droits et libertés reconnus par la Constitution et les lois de la République".
Une "aubaine" pour Idriss Déby
"Le gouvernement a lâché du lest, nous sommes relativement satisfaits, même s'il n'y a pas de quoi pavoiser", a réagi le chef de file de l'opposition, Saleh Kebzabo, à propos de l'article litigieux. "Personne n'est favorable au terrorisme", mais la lutte contre Boko Haram "est une aubaine pour le gouvernement tchadien", selon le député d'opposition, pour qui "cela lui permet d'organiser l'appareil répressif avant la présidentielle" prévue en 2016.
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Les autorités ont très nettement renforcé les mesures de sécurité après les attentats-suicides à N'Djamena en juin (38 morts) et en juillet (15 morts). Jeudi, le maire de la capitale a annoncé l'interdiction de la mendicité dans la ville. Le port du voile islamique, qui permet aux kamikazes de camoufler des explosifs, est déjà interdit, fouilles et perquisitions se multiplient, et plusieurs centaines d'arrestations ont eu lieu ces derniers mois dans la capitale.
Or, avant même le tour de vis lié aux tueries islamistes, les organisations internationales de défense des droits de l'Homme dénonçaient régulièrement les pratiques du pouvoir du président Déby, arrivé aux affaires par un coup d'État et devenu un allié-clé de la France dans le Sahel. Selon le dernier rapport d'Amnesty International (2014-2015), de "graves violations des droits humains ont continué d'être perpétrées dans une impunité quasi totale" au Tchad.
Avec AFP