La mort d'un Afro-Américain non armé, tué par un officier blanc dans l'Ohio, est la dernière bavure d'une série d'interpellations meurtrières ayant ravivé les tensions entre la communauté noire et la police. Retour sur un an de violences policières.
Avertissement : certaines vidéos peuvent heurter les sensibilités
"Vous ne pourriez pas croire la rapidité avec laquelle il a dégainé son arme et lui a tiré dans la tête. Peut-être une seconde. C'est incroyable. Et tellement insensé." C’est par ces mots que Joseph Deters, procureur du comté de Hamilton, dans l'Ohio (nord des États-Unis), a présenté, mercredi 29 juillet, la vidéo de l’intervention de Ray Tensing, policier sur le campus de l'université de Cincinnati inculpé de meurtre pour la mort, le 19 juillet, de Sam DuBose, un Afro-Américain de 43 ans.
La vidéo, enregistrée par la caméra embarquée du policier, montre ce dernier s'approchant d'un véhicule noir. Alors que Ray Tensing lui réclame ses papiers, Sam DuBose demande pourquoi on l'a fait s'arrêter et explique avoir oublié son permis de conduire chez lui. Puis la voiture démarre et le policier semble tomber à terre, sur le côté, tandis que le véhicule s'éloigne.
En une fraction de seconde, un pistolet apparaît dans le champ de la caméra, puis ce qui ressemble à un coup de feu part. Le policier se met alors à courir derrière la voiture, qui va finir sa course sur le bas-côté.
Sam DuBose est mort sur le coup, selon le procureur. Ray Tensing, âgé de 25 ans, "n'avait pas affaire à quelqu'un qui était recherché pour meurtre - il avait affaire à quelqu'un qui avait une plaque d'immatriculation manquante", a déclaré le procureur, qui a dit espérer que la réaction rapide des autorités saura montrer que la justice fonctionne.
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Plusieurs bavures policières au cours desquelles des policiers blancs ont tué des hommes noirs non armés ont ravivé ces derniers mois les tensions raciales aux États-Unis, entraînant des manifestations dégénérant parfois en émeutes. Notamment parce que, ces dernières années, de nombreux policiers n'ont pas été poursuivis. Retour sur une année de brutalités policières qui ont déclenché des mouvements de colère dans plusieurs villes des États-Unis.
- Eric Garner, 43 ans, New York
Le 17 juillet 2014, un an presque jour pour jour avant la mort de Sam DuBose dans l’Ohio, Eric Garner, un père de famille de 43 ans soupçonné de vente illégale de cigarettes, succombe lors de l'intervention d’un agent de police de Staten Island, à New York, ayant pratiqué une technique de neutralisation par étranglement ("chokehold"), pourtant interdite depuis 1993 dans l’État de New York.
L’interpellation est filmée par un témoin qui diffusera ensuite la vidéo sur Internet. Sur les images, on voit l'Afro-Américain maintenu à terre alors qu’il répète ne plus pouvoir respirer ("I can't breathe"). Asthmatique, Eric Garner perd connaissance avant d’être emmené à l’hôpital où il sera déclaré mort quelques instants plus tard.
Le 3 décembre, un grand jury chargé de l’affaire annonce sa décision de ne pas inculper le policier blanc impliqué dans la mort d'Eric Garner. Immédiatement, des centaines des manifestants se rassemblent dans plusieurs quartiers de New York, comme Times Square, Union Square, Columbus Circle, Harlem, ou encore Staten Island, où s’est déroulée l’interpellation. Les manifestants scandent des slogans tels "La brutalité de la police et les meurtres doivent s'arrêter", "La vie des Noirs compte" ("Black lives matter" en anglais, slogan qui donne lieu à un hashtag particulièrement utilisé sur les réseaux sociaux), "Je ne peux pas respirer", les derniers mots d'Eric Garner, ou encore "Ferguson est partout", en référence à la ville du Missouri où, dix jours plus tôt, la justice décidait de blanchir le policier responsable de la mort du jeune Michael Brown.
- Michael Brown, 18 ans, Fergusson, Missouri
Le 9 août 2014, à Ferguson, dans le Missouri, Michael Brown, un Afro-Américain de 18 ans, tombe sous les balles d’un officier du nom de Darren Wilson. Six coups de feu, au total, ont été tirés par cet agent de 28 ans, qui affirmera avoir été agressé par la victime, non armée, et agi, de ce fait, en légitime défense. Plusieurs témoins assurent pourtant que le jeune Noir a été abattu alors qu’il avait les mains en l’air.
Très vite, l’intervention policière, qui n’a pas été filmée, déclenche un mouvement de colère à Ferguson, où les discriminations envers les Noirs demeurent fréquentes. Les images du soulèvement de la population locale, à très grande majorité noire, réprimé par les forces de l’ordre, majoritairement blanche, rappellent les mouvements des années 1960, au moment des luttes pour les droits civiques aux États-Unis.
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Dans un discours où il présente ses condoléances à la famille de la victime, le président Barack Obama tente de calmer les esprits en annonçant la contribution de la police fédérale à l'enquête.
Le 24 novembre, le grand jury populaire chargé de l’affaire (neuf Blancs et trois Noirs) indique "qu’il n'y a pas de raison suffisante pour intenter des poursuites contre l'officier Wilson". Le non-lieu déclenche de nouvelles émeutes. La police de Ferguson est la cible de nombreux tirs et plusieurs immeubles sont incendiés. L'état d'urgence est décrété dans la ville et la garde nationale appelée à la rescousse.
Fin novembre, Darren Wilson, qui avait déclaré avoir "la conscience tranquille", adresse une lettre à la police affirmant qu'il démissionne afin de ne pas compromettre la sécurité des autres agents de police.
- Tamir Rice, 12 ans, Cleveland, Ohio
Le 22 novembre 2014, un garçon afro-américain de 12 ans en possession d'un pistolet à billes ressemblant à une arme réelle est tué par des policiers sur une aire de jeux à Cleveland, dans l'Ohio. Selon un communiqué de la police, les deux agents sont intervenus à la suite de signalements par téléphone indiquant qu’une personne armée d'un pistolet mettait des passants en joue. Arrivés sur place, les deux policiers auraient demandé à l'enfant de lever les mains en l'air mais ce dernier aurait "abaissé les mains vers sa taille pour attraper son pistolet".
Après la mort de Tamir Rice, un journaliste américain a posté sur Twitter une photo de l'arme factice, une réplique d'un pistolet semi-automatique.
BB gun Cleveland police said a 12yo boy pulled from his waistband before they shot him. http://t.co/UeLXI01nEH pic.twitter.com/J4Sc1pdP36
— Cory Shaffer (@cory_shaffer) 23 Novembre 2014La famille du garçon a intenté un procès pour homicide contre la ville de Cleveland et les deux policiers impliqués ont été placés en congé administratif.
- Walter Scott, 50 ans, North Charleston, Caroline du Sud
Le 4 avril, un policier blanc abat de plusieurs coups de feu Walter Scott, un Noir âgé d'une cinquantaine d'années. L'incident s'est produit après un contrôle routier à North Charleston, en Caroline du Sud. Une brève confrontation aurait opposé les deux hommes avant les tirs.
L'officier Michael Slager, âgé de 33 ans, invoque alors la légitime défense : Walter Scott l'aurait agressé et tenté de s'emparer de son Taser. Quelques jours plus tard, une vidéo récupérée et diffusée par le "New York Times" vient contredire cette version des faits. Sur cette dernière, on voit clairement Michael Slager tirer plusieurs balles dans le dos de Walter Scott alors que ce dernier s'enfuit. Le policier marche ensuite calmement jusqu'à l'homme, lui enjoignant de mettre les mains dans le dos avant de lui passer les menottes. Le quinquagénaire est mort peu de temps après.
Peu après la diffusion de la vidéo, Michael Slager est arrêté et inculpé pour meurtre. Dans le mandat d'arrêt visant le policier, il est indiqué que le policier "a illégalement et avec préméditation tué la victime". Transféré au centre de détention du comté de Charleston, le policier risque la peine de mort ou 30 ans d'emprisonnement.
- Freddie Gray, 25 ans, Baltimore, Maryland
Le 19 avril, un Noir de 25 ans, Freddie Gray, décède des suites d'une fracture des vertèbres cervicales, une semaine après une interpellation policière dans un quartier populaire de Baltimore, dans le Maryland. Selon le "Baltimore Sun", la trachée du jeune homme était également brisée.
Là aussi, l’incident a été filmé par des passants. La vidéo montre ainsi les officiers maintenant à terre et traînant la victime jusqu’au fourgon au police malgré ses hurlements de douleur. Les agents affirment que Freddie Gray était en possession d'un couteau.
Peu après l’annonce de sa mort, plus de 1 000 personnes se réunissent dans le calme devant la mairie de Baltimore pour réclamer que justice soit rendue. En marge du rassemblement, des heurts entre la police et des manifestants éclatent et se poursuivront plusieurs jours.
Après quelques jours de violences, un couvre-feu est instauré, la garde nationale fait l'objet d'un déploiement "massif" et le gouverneur du Maryland, Larry Hogan, déclare l'état d'urgence "pour restaurer l'ordre" dans cette ville de 620 000 habitants.
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Lors des funérailles de Freddie Gray, quelque 3 000 personnes, famille, amis et anonymes, tous Noirs, rendent dans le calme un hommage mêlé de prières et de militantisme au jeune homme disparu. Durant la cérémonie, Jesse Jackson, figure du combat pour les droits civiques des Afro-Américains, fustige une "épidémie de meurtres dans le pays". "Nous sommes devenus trop violents, trop plein de haine", dit-il, dénonçant la pauvreté des villes.
La police de Baltimore a convenu que le jeune homme aurait dû recevoir une assistance médicale après son arrestation. Six policiers ont été suspendus et sont poursuivis pour homicide dans le cadre de cette affaire.
Avec AFP