Depuis le début de la guerre dans l’est de l’Ukraine, Marioupol a déjà repoussé trois offensives des séparatistes pro-russes. Avec les accords de Minsk conclus en février dernier et l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, la ligne de front s’est figée à une dizaine de kilomètres de la ville. Pour autant, ce n’est pas non plus la paix à Marioupol. Chaque nuit, des combats ont lieu à la périphérie de la ville. Un entre-deux. Une drôle de guerre. Nos reporters se sont rendus sur place.
Marioupol est un verrou ukrainien entre la Russie, les républiques séparatistes et la Crimée, annexée par la Russie. Une cité portuaire et industrielle stratégique, au bord de la mer d’Azov.
Victor Otcherpek travaille pour le combinat Mettinvest, qui appartient à l’oligarque Rinat Akhmetov. Deux gigantesques usines métallurgiques, à portée de canon des séparatistes pro-russes. "Ici, on travaille pour que l’Ukraine vive !", clame fièrement Viktor. Le combinat emploie 35 000 ouvriers et les hauts-fourneaux n’ont jamais cessé leur activité, malgré la proximité de la ligne de front, à une dizaine de kilomètres.
Les combats se déroulent en bord de mer, dans l’ancienne station balnéaire de Shirokine. À tout moment, Marioupol s’attend à un nouvel assaut. Une dizaine de ligne de défense successives ont été dressées, des dizaines de kilomètres de tranchés creusées.
Sacha défend l’une d’elle. Mais son ami d’enfance se trouve de l’autre coté des tranchées, du côté des séparatistes. "La dernière fois que nous nous sommes parlés au téléphone, on s’est dit : 'Qu’est-ce qu’on fait si on se voit dans les viseurs ?' Lui et moi avons convenu que la question ne se posait plus, qu'on allait tirer", confesse- t-il, l'air triste.
Igor, un vieux soldat, renchérit : "Mes anciens frères d’arme m’ont appelé le 9 mai [pour le 70e anniversaire de la victoire de la Russie sur l'Allemagne nazie]. Ils m’ont dit : ‘Viens, on va boire de la vodka ensemble, on va échanger des otages et le soir chacun retournera dans sa tranchée’". Igor est un vétéran d’Afghanistan et de Tchétchénie. Il a aussi été mercenaire en Afrique. À plus de 60 ans, il vient de se marier et combat pour la première fois pour ses idées. "C’est la plus dure des guerres", lâche-t-il. Et le 9 mai, Igor est resté dans les tranchées ukrainiennes.
À Marioupol, un réseau de volontaires s’est formé pour soutenir les troupes sur le front et les civils dans la ville. Afina, elle, a décidé de porter assistance aux victimes de la dernière offensive, en janvier dernier. Un quartier à l’est de la ville a subi un bombardement séparatiste et une salve de roquette a tué 31 personnes. "Notre association a décidé de remettre des vitres aux fenêtres des immeubles endommagés", explique Afina, qui déplore : "Cela devrait être le travail de la municipalité". Mais dans l’Ukraine post-Maïdan, peu ont confiance dans le travail des autorités et l’association d’Afina souhaite contrôler la façon dont le budget municipal est dépensé. Elle estime que les habitants devraient être consultés sur les priorités à financer.
Viktoria, 49 ans, est une autre volontaire. Treillis militaire et sac à main en bandoulière, elle n’a guère confiance dans la police locale. Il y a un an, cette ancienne militante pro-Kiev a été violemment battue par les séparatistes quand ils ont brièvement investi la ville. De militante pacifiste, elle est devenue combattante. Viktoria a monté son propre groupe d’auto-défense, qui compte près de 80 miliciens armés et sa troupe a été intégrée à la jeune garde nationale ukrainienne. "Notre mission, c'est de nous occuper du front intérieur". Viktoria fait la police en ville et traque les sympathisants pro-russes.
Car la ville compte toujours des habitants dont le cœur appartient à la Russie. "On peut les reconnaître au regard", dit-elle, sans plus de précision. "Avec la police, nous nous sommes reparti les quartiers : à chacun sa zone. Dans nos quartiers l’ordre règne, les habitants peuvent dormir tranquilles", se réjouit-elle.
Sur la jetée du port de Marioupol, les hommes pèchent au son du canon, imperturbables. Face à eux pourtant, par-delà la baie, on perçoit le bruit des combats . "La guerre, ça fait fuir le poisson", grogne Vassili. Comme tous les habitants de Marioupol, cet entrepreneur ne sait pas ce qu'apportera l'été : la fin de la guerre... ou l'offensive tant redoutée.