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Reconstruction à Haïti : le travail de la Croix-Rouge épinglé

Deux médias américains accusent la Croix-Rouge d’avoir multiplié les erreurs et fait preuve d’incompétence à Haïti depuis 2010. Ils s'interrogent également sur l'utilisation des 500 millions de dollars de dons récoltés par l'ONG.

C’est un véritable calvaire médiatique que traverse actuellement la Croix-Rouge. Une semaine après les révélations du "Parisien" sur les entorses au droit du travail constaté au sein de l'antenne en France, c’est l’action de la célèbre ONG qui est remise en cause, mercredi 3 juin, sur un terrain autrement plus sensible : Haïti.

Une enquête du site d’investigation ProPublica et de la radio publique américaine NPR s’interroge sur l’utilisation par la Croix-Rouge américaine des 500 millions de dollars levés après le séisme dévastateur à Haïti en 2010. L’ONG a “récolté un demi-milliard de dollars et n’a construit que six maisons sur place en cinq ans”, résume de façon provocatrice ProPublica.

Au niveau international, la Croix-Rouge, contactée par France 24, reste solidaire de sa branche américaine. Tout juste souligne-t-elle que celle-ci n'est pas la seule à être intervenue à Haïti. Les résultats financiers de la Croix-Rouge internationale montrent que depuis 2010 elle a engagé 35 millions de francs suisses (33 millions d’euros) sur place. Au siège, à Genève, on assure aussi que les instances internationales n’ont pas demandé aux Américains le détail de l’utilisation des 500 millions de dollars levés en 2010.

Erreurs et incompétence

Pour ProPublica et la radio publique américaine NPR, qui ont pu consulter des documents et communications internes, la Croix-Rouge américaine a alterné entre échecs et incompétence dans les chantiers qu’elle a lancés dans le pays depuis cinq ans. Un tableau d’autant plus sombre que cette ONG est celle qui, de loin, a récolté le plus d’argent après le séisme. Elle reste, actuellement, le principal bénéficiaire de la générosité des Américains et, à ce titre, devrait faire preuve d’une transparence exemplaire.

Les résultats de l’enquête sont très loin du tableau dressé publiquement par la Croix-Rouge américaine. L'ONG assure, dans son document récapitulatif de cinq ans d’actions à Haïti, avoir “aidé 4,5 millions de personnes”, et avoir participé à la reconstruction d’infrastructures dans tout le pays dont, notamment, des hôpitaux et des centres de traitement des déchets. L’ONG affirme avoir trouvé des “solutions” de logements pour 142 000 personnes.

Problème : dès qu’il s’agit d’entrer dans le détail des fonds engagés, la branche américaine de l’organisation refuse de répondre, assurent les deux médias qui la mettent en cause. Sur place, les témoignages recueillis auprès des communautés avec lesquelles la Croix-Rouge travaille, sont, en outre, bien différents, ont pu constater les auteurs de l’enquête.

Apprendre à se laver les mains à des personnes qui n’ont pas accès à l’eau

Ainsi, l’un des chantiers phares de l'organisation américaine, le projet “Lamika” (un acronyme pour l’expression créole “une meilleure vie dans mon quartier”), vise, depuis 2011, à construire “plusieurs centaines de maisons permanentes” dans un quartier du sud de la capitale Port-au-Prince. Quatre ans plus tard, ”aucune n’est encore sortie de terre. De nombreux résidents vivent dans des cabanes de tôle rouillée, sans accès à l’eau potable, à l’électricité ou à des installations sanitaires de base”, assure ProPublica dont le journaliste s’est rendu sur place.

NPR raconte, de son côté, l’histoire d’un projet de développement dans le nord du pays doté d’un budget de 13 millions de dollars en 2013. “Deux ans plus tard, la population locale était furieuse car elle n’avait rien vu d’utile se produire”, souligne NPR. Ce programme aurait même viré au ridicule car “les représentants [de la Croix-Rouge américaine] dépensaient l’argent en campagne pour apprendre aux habitants à se laver les mains avec de l’eau et du savon, alors que les gens n’avaient accès ni à l’un ni à l’autre”, souligne la radio américaine.

Campagne médiatique de dénigrement ?

Projets en friche, inadéquation des initiatives avec les besoins locaux : le tableau est peu flatteur pour l'organisation. Mais il reste encore la question principale : que sont devenus les 500 millions de dollars levés en 2010 ? Sans pouvoir apporter de réponse définitive, ProPublica et NPR avancent qu’une partie a disparu dans une chaîne complexe de sous-traitants qui, chacun, ont prélevé une part de l’argent investi. Les expatriés chargés de superviser les travaux étaient également “généreusement” payés. “Un chef de projet – un poste réservé à un expatrié – pouvait prétendre à un dédommagement pour le logement, la nourriture, les frais divers, les trajets pour congé, les quatre périodes de repos annuelles et les dépenses liées à son installation. Au total, cela s’élevait à près de 140 000 dollars par an”, souligne ProPublica. Le site affirme également que les donations “ont permis de combler plus de 100 millions de dollars de déficit”.

La Croix-Rouge américaine a contesté énergiquement, mercredi, les conclusions de ces enquêtes. “L’argent a permis de construire et faire fonctionner huit hôpitaux et cliniques, juguler une épidémie de choléra, apporter de l’eau propre et des installations sanitaires à la population et sortir 100 000 personnes des tentes de fortune pour des habitations sûres”, répond la branche américaine de l’organisation dans un communiqué.

Elle “déplore” surtout une campagne médiatique de dénigrement des deux médias américains. ProPublica et NPR avaient, en effet, déjà vertement critiqué l’ONG pour “son travail bâclé lors de catastrophes naturelles, comme l’ouragan Sandy”.

Mais ce ne sont pas les seuls à s’en prendre à la Croix-Rouge américaine. Dès janvier 2015, le Centre pour la recherche économique américaine avait déjà conclu que l’ONG était loin d’avoir accompli ce qu’elle avait promis à Haïti. Le sénateur républicain Chuck Grassley a demandé, début 2015, que l’ONG dévoile le détail de ses dépenses. Elle est également sur la liste 2015 des associations qui doivent restaurer leur image de marque, du “journal de la philanthropie”.