
L'Indonésie et la Malaisie ont finalement annoncé, mercredi, qu'ils allaient accueillir les migrants toujours à la dérive au large de leurs côtes. Est-ce le signe que les pays de la région vont régler ce problème durablement ? Pas si sûr.
Alors qu’ils renâclaient jusqu’ici à accueillir les migrants fuyant la misère et les persécutions, l’Indonésie et la Malaisie ont fait volte-face, mercredi 20 mai, en annonçant que les pratiques de "remorquage" et de "refoulement" des bateaux allaient cesser.
"Nous sommes également convenus de leur offrir un refuge provisoire à condition que leur relocalisation ou leur rapatriement par la communauté internationale soient effectifs dans l'année", a précisé le ministre malaisien des Affaires étrangères, Anifah Aman, après des entretiens avec ses homologues indonésien Retno Marsudi et thaïlandais Thanasak Patimaprakorn.
La Thaïlande, l'Indonésie et la Malaisie ont accueilli environ 3 000 naufragés en quelques jours mais elles ont aussi joué un jeu de ping-pong en renvoyant plusieurs bateaux, s'attirant les foudres des Nations unies et d'organisations non gouvernementales.
Ce changement d’attitude est donc un soulagement pour ces migrants, même si la Thaïlande ne s’est pas associée à la proposition de Kuala Lumpur et Jakarta.
Les bateaux transportent des Bangladais qui veulent échapper à la pauvreté ainsi que des membres de l'ethnie rohingya, communauté musulmane, estimée à 1,3 million de personnes, persécutée et marginalisée, vivant pour l'essentiel en Birmanie, un pays largement bouddhiste.
La Thaïlande pointée du doigt
D'après la Malaisie, environ 7 000 personnes dérivent encore en mer alors que Jakarta a annoncé que des pêcheurs avaient de nouveau secouru, comme ils l'ont déjà fait ces derniers jours, 433 affamés au large de ses côtes. Au total, environ 1 800 migrants se trouvent désormais dans le pays.
"Pour un pays comme la Malaisie, c’est un retour à une politique antérieure, explique David Camroux à France 24, chercheur au Centre de recherches internationales de Sciences-Po (CERI) et spécialiste de l’Asie du Sud-Est. Kuala Lumpur avait auparavant une politique d’accueil des Rohingyas et en a d’ailleurs accueilli entre 35 000 et 45 000 depuis plusieurs décennies. Pareil pour l’Indonésie. Mais ces deux pays se sont inspirés de l’Australie qui a aussi refoulé des bateaux. Ils se sont dit que si un grand pays riche et blanc pouvait faire ça, il n’y avait aucune raison qu’ils ne le fassent pas non plus. Heureusement, ils sont revenus très rapidement sur cette décision car en Malaisie et en Indonésie, les pêcheurs, comme les pêcheurs italiens en Méditerranée, sauvent les vies. Ça fait partie de leur code moral."
Le Premier ministre australien, Tony Abbott, a en effet mis en place dans son pays une politique très stricte concernant les migrants. Au sujet de la crise actuelle, il a martelé "Non ! non ! non !" lorsqu’un journaliste lui demandait si l’Australie allait accueillir des Rohingyas ou des Bangladais. "Nous ne ferons rien qui pourrait encourager les gens à monter sur des bateaux, a-t-il ajouté. Si nous faisons la moindre chose qui les encouragerait, cela aggraverait le problème au lieu de l’améliorer."
Depuis le début de la crise, les migrants ont toutefois toujours bénéficié d’un soutien populaire en Malaisie, en Indonésie et aux Philippines. Les Thaïlandais, en revanche, n’ont manifesté aucune compassion pour ces personnes prises au piège de leur dérive sur des embarcations de fortune, bien au contraire.
"Le racisme et la xénophobie sur les réseaux sociaux en Thaïlande, qui ont accompagné cette crise des boat-people, sont assez effrayants", souligne ainsi Cyril Payen, le correspondant de France 24 à Bangkok.
"S’il faut trouver un vrai coupable dans cette affaire, en plus de la Birmanie qui refuse de traiter ce problème au niveau régional, c’est la Thaïlande. Ce sont eux les trafiquants. Les Thaïlandais ont une longue histoire d’exploitation des réfugiés birmans, le tout avec la complicité de l’armée et de la police", ajoute David Camroux.
La situation des Rohingyas en Birmanie au cœur du problème
Au cœur de ces tensions, c’est une nouvelle fois la question de la situation des Rohingyas en Birmanie qui est posée. Nombre d’entre eux tentent de fuir ce pays, où le gouvernement campe sur son refus de les reconnaître comme groupe ethnique. La Birmanie considèrent en effet les Rohingyas comme des immigrés illégaux du Bangladesh voisin, même s'ils sont installés pour certains en Birmanie depuis des générations. Ils n'ont pas de papiers, pas d'accès aux systèmes scolaire et sanitaire ni au marché du travail.
"Les Rohingyas sont majoritairement birmans, mais sont utilisés à des fins politiques par le gouvernement qui agite la crainte de l’islamisation pour détourner l’attention du peuple birman des réformes démocratiques que le gouvernement ne met pas en place, affirme sur France 24 Cécile Harl, de l’association Info Birmanie. Il faut donc que ce soit la Birmanie qui traite d’abord ce problème car les racines de cet exode massif sont liées à la politique de répression et de discrimination mise en place."
>> À voir sur France 24 : "Migrants en Asie du Sud-Est : les Rohingyas, damnés de la mer (partie 1)"
>> À voir sur France 24 : "Migrants en Asie du Sud-Est : les Rohingyas, damnés de la mer (partie 2)"
"Le problème, c’est que la Birmanie considère qu’il s’agit d’une question nationale et non régionale, souligne David Camroux. Donc si la Malaisie ou l’Indonésie évoque le sujet, c’est vu par les Birmans comme une ingérence dans ses affaires intérieures. C’est cette barrière là qu’il faut absolument casser."
Une réunion régionale est justement annoncée pour le 29 mai à Bangkok. Après avoir refusé d’y participer, la Birmanie sera finalement présente lors de ce sommet attendu, notamment par la communauté internationale. Mais pour le correspondant de France 24 en Thaïlande, il ne faut pas s’attendre à de grandes annonces qui changeraient radicalement la donne.
"Il est probable, malheureusement, que cette grande conférence sur les migrations, pourtant si fondamentale, soit au final une coquille vide et se termine avec des déclarations un peu molles, estime Cyril Payen. On s’en tiendra stricto sensu aux migrations et au flux migratoires, mais pas au trafic et aux sources de ce trafic, pas aux pays de transit ni aux pays d’arrivée. Ce sera une conférence pour la forme."
Avec AFP et AP