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Le lourd tribut économique payé par l’Europe à la pollution

L’OMS a, pour la première fois, publié une estimation du coût économique de la pollution de l’air pour l’Europe. En se basant sur le nombre de décès prématurés, elle juge que l’Europe perd 1 600 milliards de dollars par an.

La pollution tue et coûte cher à l’Europe. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que le poids économique pour le Vieux Continent des décès prématurés dus à la pollution s’élève à 1 600 milliards de dollars (1 450 milliards d’euros) par an.

C’est la conclusion d’une première étude, réalisée en partenariat avec l’OCDE et publiée le mercredi 28 avril, consacrée à l’impact économique de la mauvaise qualité de l’air pour les 53 pays que l’OMS range dans la zone européenne.

662 769 morts prématurées dues à la pollution de l’air

Pour en arriver à un tel montant, l’OMS a constaté qu’il y avait eu 662 769 morts prématurées dans la région, directement imputables à la pollution de l’air en 2010 (dernière date pour laquelle il est possible d’avoir des données comparables pour tous les pays). Il s’agit d’une partie des décès dûs à des maladies cardiovasculaires, et respiratoires “dont on sait depuis les années 90 qu’ils sont liés à la pollution”, explique à France 24 Olivier Chanel, chercheur au CNRS, spécialiste de l’économie de l’environnement.

Pour l’OMS, un décès prématuré sur quatre est dû aux particules fines et aux émissions de dioxyde de carbone. Les pays de l’est de l’Europe sont particulièrement frappés avec près de 120 000 morts comptabilisés en Russie, 66 000 en Ukraine et 48 000 en Pologne. En Allemagne, et malgré la politique de soutien aux énergies vertes, la vie de 41 500 personnes a été ainsi écourtée, loin devant la France qui ne compte "que" 18 000 décès prématurés.

Chacune de ces vies a un coût économique aux yeux des auteurs du rapport. “La valeur moyenne d’une vie en Europe a été fixée à trois millions de dollars (2,7 millions d’euros)”, souligne Olivier Chanel. Il y a une grande disparité entre les différents États de la région européenne. Ainsi, ce sont les Luxembourgeois dont la vie "vaut" le plus (6,28 millions d’euros), tandis qu’un Ouzbek et un Tadjik qui trépasse ne coûte que 440 000 euros. La France se situe légèrement au dessus de la moyenne (3,18 millions d’euros).

Moindre mal

Ce macabre chiffrage peut choquer, mais il repose sur une donnée économique utilisée depuis plusieurs dizaines d’années, appelée la Valeur de la vie statistique (VSL - Value of statistical life). Le ministère américain des Transports juge ainsi que la VSL d’un Américain est de 9,1 millions de dollars. Il peut en déduire le coût économique des accidents mortels de la circulation. Les assurances ont également recours à cet indicateur pour mesurer le coût de vies assurées.

La VSL “se calcule en demandant à des personnes combien elles seraient prêtes à payer pour éviter de mourir prématurément puis en prenant en compte d’autres facteurs comme le niveau de vie dans le pays de résidence”, explique Olivier Channel. Cet indicateur n’a pas manqué d’être critiqué. En 2009, lorsque l’agence américaine de l’Environnement avait décidé de baisser la VSL, le public américain avait été choqué que “des bureaucrates puissent ainsi décider de la valeur d’une vie humaine”, rappelle l’économiste américaine Trudy Ann Cameron dans une étude consacrée à cette notion.

Reste qu’il s’agirait d’un moindre mal. Auparavant, la valeur économique d’une personne était calculée sur la base de ce qu’elle gagnait et des années durant lesquelles elle aurait continué à contribuer à l’économie si elle n’avait pas succombé, rappelle Olivier Chanel. En clair, les enfants et les retraités ne valaient, économiquement, presque rien.

PIB compatible ?

La méthode de calcul de l’OMS pour évaluer l’impact économique de la pollution de l’air en Europe est donc des plus traditionnelles. Mais l’organisation internationale va plus loin et met ce prix économique à payer en rapport avec le PIB des pays européens. Ces 1 600 milliards de dollars “sont presque l’équivalent d’un dixième du PIB européen [...] et pour certains pays, le coût dépasse même les 20 % du PIB”, écrivent les auteurs du rapport.

Une manière pour l’OMS de marquer les esprits qui ne satisfait pas tout le monde. “Cette comparaison entre coût des morts prématurés et richesse des pays est généralement admise mais je ne la trouve pas forcément pertinente”, nuance Olivier Chanel. L’évaluation de chacun de ce qu’il serait prêt à payer pour ne pas mourir n’est pas une donnée concrète facile à intégrer au PIB. Tout au plus estime-t-on, note l’économiste, que “10 % de ce montant correspond au coût, notamment, pour les assurances et les hôpitaux”. Un poids économique plus facile à comparer au PIB qui s’élèverait, tout de même, à 160 milliards de dollars (145 milliards d’euros) par an.