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La Turquie est-elle décidée à freiner le passage de jihadistes sur son sol ?

Ankara a déclaré mardi que 12 800 personnes seraient interdites d'entrée en Turquie. Cette annonce intervient alors que les États-Unis ont accepté de former des Syriens pour lutter contre l'ennemi commun aux deux pays : Bachar al-Assad.

La Turquie a révélé mardi 21 avril qu'elle avait placé plus de 12 800 personnes sur une liste pour leur interdire d'entrer sur le sol turc, de peur qu'elles ne transitent par son territoire pour rejoindre les rangs de groupes islamistes en Irak ou en Syrie. Mille trois cents combattants étrangers ont déjà été expulsés, comme l'a indiqué le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, lors d'une rencontre avec son homologue américain John Kerry à Washington mardi.

Il semblerait donc que la Turquie ait décidé de faire un pas en avant dans la lutte contre le jihadisme, alors que jusqu’ici, la position d’Ankara restait volontairement ambiguë. "C'était une façon de faire pression sur les Occidentaux", explique à France 24 Tancrède Josseran, attaché de recherche, spécialiste de la Turquie à l’Institut de stratégie comparée. Jusqu'à maintenant, Ankara était régulièrement accusée par ses partenaires occidentaux de ne pas empêcher le flux de candidats au jihad de rejoindre l'EI.

Pour Bayram Balci, spécialiste de la Turquie au Carnegie Endowment for International Peace interviewé par France 24, Ankara se trouve réellement démunie face à l’afflux des jihadistes. "La Turquie est un passage facile à cause de sa politique touristique de visa et sa frontière longue de 900 kilomètres très difficile à surveiller", explique-t-il, estimant que "les services des deux pays se renvoient la responsabilité du fléau". "Reprocher à la Turquie l’entière responsabilité du passage des jihadistes sur son sol ne réglera pas le problème", conclut-il.

Bachar al-Assad, l'ennemi d'Ankara

L’annonce du gouvernement turc n'intervient pas par hasard, mais juste après la mise en œuvre, en mars, d’un accord entre la Turquie et les États-Unis sur la formation et l’armement de l’opposition syrienne modérée. Les cycles d'entraînement se dérouleront en Turquie, en Jordanie, au Qatar et en Arabie saoudite, avec pour objectif d'entraîner plus de 5 000 reccrues potentielles dès la première année. À l'issue de leur formation, les rebelles sélectionnés seront appelés à retourner en Syrie et à se battre contre les troupes du régime de Bachar al-Assad.

"La chute du régime syrien est une des priorités de la Turquie qui préfèrerait voir s’installer un régime 'ami' proche des Frères musulmans à la place de Bachar al-Assad", indique le chercheur Tancrède Josseran. Les annonces turques en matière de lutte contre les jihadistes sont une forme de "contrepartie" à l’engagement américain, estime-t-il.

>> À lire sur France 24 : Aide américano-turque à l'opposition syrienne : pour qui et pourquoi ?

"Les intérêts turcs passent d’abord"

D’après la Turquie, les milliers de combattants étrangers visés par l’interdiction de voyager sur la liste ont été désignés "par les services de renseignement turcs et non par leurs pays d’origine". Tancrède Josseran estime au contraire que ce sont les services de renseignement occidentaux qui ont fourni les noms, car le MIT, service de renseignement turc, n’a pas les capacités de ficher, seul, les jihadistes occidentaux et a longtemps freiné la collaboration.

Si la coopération entre la Turquie et les pays occidentaux se renforce, elle reste donc fragile, car soumise au bon vouloir d’Ankara. "Les intérêts turcs passent d’abord", explique Tancrède Josseran, qui précise qu’Ankara en tant qu’État membre de l’Otan doit tout de même fournir un minimum de gages à ses alliés.