
En campagne pour un troisième mandat, Faure Gnassingbé fait figure de favori pour la présidentielle togolaise du 25 avril. Mais pour certains observateurs, Jean-Pierre Fabre, son plus sérieux adversaire, pourrait tirer son épingle du jeu.
"Aucune élection n'est jamais gagnée d'avance", affirmait cette semaine Faure Gnassingbé à l'hebdomadaire "Jeune Afrique". Une manière pour le président du Togo, qui brigue un troisième mandat, d'indiquer qu'il a pris conscience des nouvelles réalités sur le continent africain.
Car, si le chef de l'État sortant, au pouvoir depuis 2005, fait figure de favori pour l'élection présidentielle à un seul tour qui se tiendra samedi 25 avril, son opposant Jean-Pierre Fabre n'a pas encore perdu la partie, selon certains observateurs.
Plus de 3,5 millions d’électeurs sont appelés aux urnes le 25 avril dans 8 994 bureaux de vote, entre 7 h et 17 h (GMT). Quelque 9 000 policiers et gendarmes sécuriseront les opérations. La Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), l'Union africaine (UA) et la société civile déploieront des milliers d'observateurs électoraux.
Cinq candidats sont en lice. Outre le sortant Faure Gnassingbé et son plus sérieux adversaire, Jean-Pierre Fabre, soutenu par le Combat pour l'alternance politique (CAP 2015), se présentent Tchabouré Gogué, pour l'Alliance des démocrates pour le développement intégral (ADDI), Komandega Taama, du Nouvel engagement togolais (NET), et Mouhamed Tchassona-Traoré, président du Mouvement citoyen pour la démocratie et le développement (MCD).
Le scrutin se tiendra en effet dans un contexte particulier en Afrique de l'Ouest : un soulèvement populaire au Burkina Faso voisin a chassé fin octobre Blaise Compaoré après 27 ans au pouvoir, tandis que le Nigeria proche a élu fin mars Muhammadu Buhari, mettant fin à la suprématie du Parti démocratique populaire (PDP) depuis la fin des dictatures militaires en 1999.
Une campagne étonnamment calme
Le Togo, petit pays francophone de 7 millions d'habitants, choisira-t-il l'alternance ou reconduira-t-il le régime du sortant, porté au pouvoir par l'armée à la mort de son père en 2005, le général Gnassingbé Eyadéma, qui dirigea le pays d'une main de fer pendant 38 ans ?
Aucun sondage n'existe, mais si Faure Gnassingbé était donné favori depuis des mois face à une opposition divisée, l'incertitude s'est récemment installée. "On est agréablement surpris par le calme de la campagne, mais ça s'est resserré. Fabre peut gagner", estime un diplomate occidental ayant requis l'anonymat auprès de l'AFP. Même le pouvoir doute : "Ça peut basculer. Je dirais que Faure a 75 % de gagner, et Fabre 25 %", confie un ministre.
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Surnommé par ses détracteurs "le marcheur", tant il aime à manifester, Jean-Pierre Fabre espère bénéficier du ras-le-bol de la population, lassée par 48 ans de règne d'une même famille. "Le principal enjeu pour nous, c'est [...] la nécessité pour les Togolais de changer de régime, d'en finir définitivement avec le système Gnassingbé qui, par la ruse, par la violence, se maintient au pouvoir", martelait-il récemment lors d'un meeting.
Nombreux sont ceux au Togo qui prédisent en tous cas un résultat plus serré qu'en 2010. À l'époque, le président avait rassemblé 60,81 % des suffrages, contre 33,93 % à Jean-Pierre Fabre, dans un scrutin contesté par l'opposition mais jugé "acceptable" par la communauté internationale - beaucoup plus que celui de 2005, entaché de fraudes et de violences (400 à 500 morts, selon l'ONU).
Une croissance mal répartie
Dans un programme de 123 pages, Jean-Pierre Fabre a promis, s'il était élu, de "tourner définitivement le dos à l'arbitraire et aux voies de fait érigés en politique de gouvernement, à la gabegie et à la corruption pratiquées à tous les niveaux, (...) à l'impunité, aux violations répétées de la Constitution et des lois".
Faure Gnassingbé, lui, demande à être jugé sur son bilan économique : le PIB a plus que doublé depuis 2005, la croissance a atteint 5,6 % en 2014, et de grands chantiers d'infrastructures, couvrant notamment le pays de routes rutilantes, ont été lancés.
Mais, pour l'opposition, les retombées concrètes de la croissance ne profitent pas au plus grand nombre. La croissance "a plus bénéficié aux riches qu'aux plus pauvres", a d'ailleurs reconnu récemment le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Plus de 58 % des Togolais vivaient en 2011 avec moins d'un dollar par jour, selon les derniers chiffres disponibles. La situation ne s'est que légèrement améliorée depuis, de l'aveu même du gouvernement.
Amnesty International met en garde le régime
Initialement prévue le 15 avril, l'élection a été reportée de dix jours en raison d'anomalies dans le fichier électoral (doublons, électeurs décédés), repérées par l'opposition et la société civile. L'Organisation internationale de la francophonie s'est saisie du problème et le fichier a été rectifié, à la satisfaction de l'opposition.
L'opposition a tenté sans succès d'empêcher Faure Gnassingbé de se représenter, notamment au Parlement où le parti au pouvoir, l'Unir, est majoritaire - la Constitution ne fixant plus aucune limitation des mandats présidentiels depuis une réforme de 2002, l'opposition et la société civile avaient également manifesté, en novembre et décembre 2014, mobilisant des milliers de personnes à Lomé pour exiger un verrou constitutionnel. Sans succès.
À quelques jours de l'élection présidentielle, l'organisation Amnesty International a dénoncé les agissements de l'armée, accusée d'avoir tiré à balles réelles sur des manifestants fin mars, et a appelé les autorités à "garantir le respect de la liberté de réunion et la liberté d'expression".
Avec AFP