Après la sortie de Jean-Marie Le Pen sur le pétainisme, le Front national est en crise. Sa fille Marine a engagé une procédure disciplinaire contre lui et l'a invité à quitter la politique. Mais le FN pourra-t-il se passer de son père fondateur ?
Le patriarche est devenu trop encombrant. Après les dernières sorties de Jean-Marie Le Pen dans le l’hebdomadaire d’extrême droite "Rivarol", la présidente du Front national (FN) a annoncé, jeudi 9 avril, sa décision d'engager une procédure disciplinaire contre son père, qui sera convoqué devant le bureau exécutif du parti. Elle lui a en outre demandé de se retirer de la vie politique en raison de ses provocations à répétition.
Invitée du journal télévisé de TF1, Marine Le Pen a expliqué ne pas souhaiter voir son père mener lors des prochaines élections régionales de liste en Provence-Alpes-Côte d'Azur, comme lui l'ambitionnait. Mais la décision, a-t-elle rappelé, appartiendra au bureau politique du parti, qui se réunira le 17 avril.
Un peu plus tôt dans la journée, le numéro 2 du FN, Florian Philippot, avait déjà déclaré sur RMC, qu'il serait "préférable" que Jean-Marie Le Pen démissionne. "Quel intérêt de rester dans un mouvement avec lequel on ne partage aucune des positions de fond ? La solution la plus acceptable serait qu'il se mette en retrait, en retraite, qu'il démissionne du mouvement", a-t-il déclaré. En cas de refus, Philippot a annoncé que le parti "prendra ses responsabilités".
La "mirobolante" hypothèse de l’exclusion
Jean-Marie Le Pen a aussitôt déterré la hache de guerre. Face à l’hypothèse de son exclusion, qu’il considère comme "mirobolante", il a brandi la menace d'un "risque d'implosion" du FN, restant ainsi fidèle à son idée fixe : Le Pen ne doit rien aux autres et les autres lui doivent tout.
"Si cette décision était prise, elle serait complètement folle parce que le prestige que je conserve assez naturellement au sein du Front national provoquera des remous considérables et pour [Marine], une perte d'influence qu'elle ne mesure sans doute pas", a commenté sur RTL, jeudi, l’eurodéputé à propos de sa fille, avant d’ajouter : "Marine Le Pen souhaite ma mort, peut-être, mais elle ne doit pas compter sur ma collaboration".
Jean-Marie Le Pen a-t-il toujours un tel pouvoir au sein du parti qu’il a fondé en 1972 ou pèche-t-il par orgueil ? "Jean-Marie Le Pen ne représente pas une menace électorale. Il n’incarne aucun avenir et pas un cadre du parti ne prendrait le risque de le suivre. En revanche, il a un réel pouvoir de nuisance, à la fois médiatique, politique et surtout financier", explique à France 24 Joël Gombin, doctorant en sciences politiques, spécialiste du FN.
L'arme financière
En fin animal politique, Jean-Marie Le Pen a assuré ses arrières. Lorsqu’il a passé les rênes du parti à sa fille le 16 janvier 2011, il s’est assuré les moyens de peser lourdement sur les épaules de son successeur. En 1988, il a créé la Cotelec - abréviation de "cotisation électorale" - un microparti qui collecte tous les prêts et les dons des sympathisants. Alors que le FN traversait une grave crise financière entre 2007 et 2012, cette "pompe à finance" a reversé près de 100 000 euros dans les caisses du parti.
Début 2015, la Commission nationale des comptes de campagne a révélé que la structure avait prêté 4 millions d’euros au FN en 2013, contre 141 726 euros d'intérêts. Cela représente près de 80 % des emprunts et dettes du Front national figurant dans ses registres pour l'année 2013.
Cotelec n’est pas la seule ressource du FN. Ses bons résultats électoraux lui ont valu un afflux de cotisations d'adhérents qui se sont élevées à 2 millions d’euros en 2013 et un financement public qui a atteint les 5 millions d'euros. Marine Le Pen a elle aussi mis en place, dès 2010, son microparti : Jeanne, du nom de la pucelle d’Orléans, qui permet au parti d’emprunter aux banques. En principe. Jeanne est au cœur d’une vaste enquête qui a conduit à la mise en examen pour escroquerie de son trésorier, Alex Lousteau, un ancien du GUD, organisation de défense des étudiants d’extrême droite réputés pour leur violence.
Le patrimoine Le Pen
Quid de l’arme politique ? Le Pen père demeure l’homme qui a accompli l’exploit de mener le Front national de 0,74 % des voix à l’élection présidentielle de 1974 à 17,79 % au second tour face à Jacques Chirac en 2002. Il bénéficie toujours du soutien et du respect d’une frange conservatrice de l’électorat frontiste qui valorise son apport "historique". À l’instar de l’eurodéputé frontiste Aymeric Chauprade qui refuse de tirer à boulets rouges sur le fondateur du parti. "Nous ne serions pas là sans lui, nous lui devons tout […]. J’ai le plus grand respect pour son parcours politique", a estimé l’eurodéputé frontiste sur France 24.
"Énormément de sympathisants ont adhéré au parti à cause ou grâce à lui et ils se reconnaissent en lui. […] Jean-Marie Le Pen a légué au Front national son programme, son parti et ses pensées", analyse de son côté Cécile Alduy, présidente de l’Université de Stanford qui ne croit pas, elle non plus, à une implosion du parti : "Il n’y aurait aucun bénéfice politique à une scission politique. Les dirigeants politiques ont en ligne de mire les régionales puis la présidentielle, ce n’est pas le moment".
Les analystes ne croient pas non plus à l’impact électoral d’un potentiel départ de Jean-Marie Le Pen. "Il y a toujours une fusion entre la marque FN et la marque Le Pen. Aujourd’hui, c’est Marine qui l’incarne. Au demeurant, ceux qui voulaient partir car ils trouvaient la ligne de Marine trop molle l’ont déjà fait et cela n’a pas représenté plus de 2 % de l’électorat frontiste", souligne Joël Gombin.
Le divorce avec la base est consommée
D’après les dernières enquêtes d’opinion, une majorité des sympathisants du FN considèrent que le président d’honneur tire son parti vers le bas. La rupture remonte à juin 2014, lorsque Jean-Marie avait suggéré de faire une "fournée" d’artistes. Un sondage BVA pour iTélé, réalisé six jours après cette sortie, révélait que 93 % des sympathisants du FN estimaient que Marine était une meilleure présidente que son père. Par ailleurs, ils étaient 86 % à considérer Jean-Marie comme un handicap pour le parti, contre 14 % qui envisageaient toujours l’ex-président comme un atout.
Marine Le Pen a-t-elle toujours politiquement besoin de la présence de son père ? Rien n’est moins sûr. Là encore, les enquêtes d’opinion accordent toute confiance à l’actuelle présidente. Selon un sondage Ifop pour "Dimanche Ouest France" mené au même moment l’année dernière, 15 % des personnes n’ayant jamais voté pour le FN seraient prêtes à franchir le pas si le fondateur de ce parti venait à le quitter.