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Attaque de l’EI au Yémen : "C’est une défiance envers Aqpa"

En signant ses premiers attentats d'envergure au Yémen, l'EI cherche à s'imposer en maître dans ce pays face à Al-Qaïda, en profitant de l'anarchie ambiante et d'un fort ressentiment anti-chiite parmi les sunnites, selon des experts.

L’EI a frappé fort pour sa première attaque au Yémen. Au moins 142 personnes sont mortes et 351 ont été blessées, vendredi 20 mars, dans un attentat contre deux mosquées chiites de la capitale Sanaa. Le bilan civil est lourd et le message envoyé est fort dans ce pays en plein chaos depuis la prise de pouvoir par les miliciens houthis chiites, qui ont chassé en septembre dernier le président Abd Rabbo Mansour Hadi, démocratiquement élu.

Quelques heures après l’attentat, l’organisation de l'État islamique (EI) a revendiqué l’attaque et visé particulièrement les "infidèles houthis (…) bras de l’Iran au Yémen".

L’EI frappe avec des anciens d’Aqpa

Mais le message est à décrypter à plusieurs niveaux. Si les Houthis, reconnus et soutenus par l’Iran, sont la cible première, l’EI vient également marcher sur les plates-bandes d’Al-Qaïda dans la Péninsule arabique (Aqpa), dans le bastion historique du groupe islamiste, également ennemi des houthis.

"Plusieurs groupuscules avaient fait sécession avec Aqpa en février dernier pour prêter allégeance à l’EI et d'autres groupuscules non affiliés leurs ont emboité le pas", explique Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des mouvances jihadistes. Même si l’EI reste pour l’heure un groupuscule au Yémen, cette attaque est une défiance envers Aqpa, pour mettre en place une confrontation idéologique".

Selon d’autres experts, de nombreux combattants de l’EI en Irak seraient également rentrés récemment au Yémen pour prêter main forte à ces groupuscules.

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Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes à France 24

Des modes opératoires opposés

Les cibles et les moyens d’actions divergent également. Récemment, un idéologue d’Al-Qaïda, Harith al-Nadhari – l’homme qui avait loué les frères Kouachi pour leur attaque contre "Charlie Hebdo", à Paris, en janvier – a condamné les attaques indiscriminées de l’EI. Il rappelait à ses fidèles d’éviter de cibler les mosquées ou les marchés pour protéger la vie de musulmans innocents.

Aqpa privilégie des cibles identifiées comme les milices houthies, les militaires ou le monde occidental. "Depuis que les miliciens Houthis ont pris le contrôle de la capitale et conquis une bonne partie du pays, Al-Qaïda a perdu de sa crédibilité, ayant été incapable de défendre même des provinces sunnites", explique Mathieu Guidère, professeur d'islamologie à l'université de Toulouse.

"Dans la logique expansionniste de l’EI"

Ces attaques s’inscrivent aussi dans une logique expansionniste de l’EI, qui a montré cette semaine sa capacité de frappe coordonnée dans plusieurs pays du Maghreb, en Tunisie et en Libye, et donc au Yémen.

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Anne Giudicelli, consultante pour le cabinet Terr(o)risk
Attaque de l’EI au Yémen : "C’est une défiance envers Aqpa"

"Dans cette attaque, il y a une volonté de mettre face à face l’Iran et les grandes puissances du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite, qui soutenait le président Hadi, analyse Anne Giudicelli, fondatrice de Terr(o)risc, une structure de conseil sur les risques politico-sécuritaires. L’EI joue sur cette opposition confessionnelle sunnite-chiite et viens rajouter son propre projet idéologique", à savoir la création d’un califat islamique. "Le pire des scénarios" selon la chercheuse, dans un pays déjà désorganisé et sans État.

Avec cette démonstration de force, l’objectif de l’EI semble clair pour certains experts : emporter l’allégeance d’Aqpa afin d’absorber la première génération de jihadistes, et en même temps, le Yémen, considéré comme le berceau des Arabes.