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Quatre pays européens, dont la France, ont décidé de soutenir la future banque d'investissement régionale lancée par la Chine. Ce projet, qui pourrait faire de l'ombre à la Banque mondiale, déplait fortement à Washington.

Chine qui rit, États-Unis qui pleurent. Washington vient de subir une série de camouflets diplomatiques qui ont dû faire plaisir à Pékin. La Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et l’Italie sont décidées à rejoindre le club des pays fondateurs de la future Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (AIIB). Dans le contexte de concurrence économique en Asie, ce projet porté depuis 2014 par la Chine est vu d’un mauvais œil par Washington.

Londres avait entamé ce bal des ralliements, en fin de semaine dernière. Dès lundi, Washington avait critiqué la décision britannique de soutenir le projet chinois d’AIIB. Mardi 17 mars, Paris, Berlin et Rome décidaient à leur tour d'entrer dans la danse démontrant, par là-même, que sur ce dossier, la voix américaine était peu convaincante.

50 milliards de dollars

Quelle est donc cette nouvelle institution qui pousse les alliés traditionnels de Washington à froisser la superpuissance américaine ? "L'AIIB est un instrument qui doit permettre à la Chine d'asseoir son emprise régionale aussi bien en matière économique que politique", analyse Jean-François Dufour, spécialiste de l’économie chinoise et président du cabinet de conseil China DCA-Analyse.

Il s'agit d'une institution multilatérale, regroupant déjà 26 pays en Asie et au Moyen-Orient, qui sera dotée d’un budget de 50 milliards de dollars. L'argent doit servir à financer des projets de développement en Asie. "Elle serait spécialisée dans les infrastructures, ce qui est logique puisque les sociétés chinoises sont les plus performantes de la région dans ce domaine", souligne Jean-François Dufour.

Certes Pékin pourrait utiliser ses banques nationales pour investir directement chez ses voisins au lieu de créer une banque multilatérale. Mais "certains pays, comme les Philippines ou le Vietnam, ont des réticences politiques à prendre directement l'argent chinois et se sentiraient plus à l'aise de traiter avec un organisme régional comme l'AIIB", note cet expert.

Les États-Unis contre-attaquent sur le terrain de l'éthique

Cette banque serait donc, avant tout, un outil permettant aux sociétés chinoises de grignoter des parts de marché. Les quatre pays européens qui s'y sont ralliés espèrent, également, grappiller quelques contrats au passage. "L'AIIB est perçue comme une porte d'entrée dans des pays en plein développement", confirme Jean-François Dufour. Dans un contexte de morosité économique européenne ambiante, c'est une opportunité difficile à ignorer. Même si la susceptibilité américaine en prend un coup.

Car les États-Unis ne sont pas contents. D'abord, l'AIIB risque de faire de l’ombre à la Banque mondiale et à la Banque asiatique de développement, deux institutions perçues comme favorables aux intérêts économiques américains. Ensuite parce que cette nouvelle institution peut se révéler être une arme diplomatique redoutable.

"Des pays qui ont des conflits larvés avec la Chine, comme le Vietnam, risquent d'être moins critiques à l'égard de la Chine de peur de perdre d'éventuels investissements de l'AIIB", estime Jean-François Dufour. L'influence américaine dans la région pourrait en pâtir.

Mais c'est sur un autre terrain, celui de l'éthique, que les États-Unis ont décidé de contre-attaquer. "Les États-Unis ont émis des doutes sur la capacité de l'AIIB d'être à la hauteur des autres institutions internationales en termes de défense des normes environnementales et sociales", souligne Thomas Wright, un responsable du centre américain de réflexion politique Brookings Institute.

"Ces attaques ne sont pas infondées car les banques chinoises d'investissement ont souvent été critiquées pour s'asseoir sur les normes internationales environnementales et de protection des travailleurs, notamment sur le continent africain", rappelle Jean-François Dufour. Il souligne, cependant, que Pékin cherche actuellement à corriger le tir et pourrait, justement, profiter de cette nouvelle banque pour montrer un autre visage.

Londres a d'ailleurs affirmé que sa décision était motivée par la volonté de s'assurer que tout se passe correctement au sein de la future AIIB. "Ce n'est probablement pas la motivation principale, mais les Européens sont convaincus que cette banque verra le jour et qu'il vaut mieux s'opposer de l'intérieur que de critiquer de l'extérieur”, note Jean-François Dufour. Reste à savoir, comme le souligne Thomas Wright, quelle sera la réaction des pays européens s'ils sont un jour confrontés à des pratiques douteuses de la nouvelle banque : les dénonceront-ils, au risque de devoir quitter l'institution et de laisser filer de juteux contrats ?