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"Les musulmans et les juifs ne se connaissent pas"

L’association Pari(s) du vivre-ensemble a organisé, jeudi, une journée de débats sur les liens rompus entre juifs et musulmans. L’enjeu : renouer le dialogue entre ces deux communautés.

Une manifestation d’urgence, un temps de parole limité et beaucoup de choses à dire. Jeudi 12 mars s’est tenue une journée de débats autour du désamour entre juifs et musulmans, organisée par l’association Pari(s) du vivre-ensemble et orchestrée par la volubile sénatrice EELV Esther Benbassa. Un panel d’experts - universitaire, écrivain, imam, sociologue, associations, mais aucun représentant d’institutions religieuses (qui n’ont pas été conviées) - a tenté de "crever l’abcès" et d’identifier les causes de la rupture entre ces deux communautés.

Le postulat de base est inquiétant : repli communautaire des luttes antiracistes, montée de l’antisémitisme dans les banlieues (et plus généralement en Europe, selon le Premier ministre Manuel Valls) et appel du président israélien Benjamin Netanyahou aux juifs de France à émigrer en Israël, après les attentats de Paris en janvier et de Copenhague le 14 février. Pour renouer le dialogue donc, les participants ont entrepris de mettre des mots sur les maux.

Un système d'éducations parallèles

Dans le but de comprendre la "véritable rupture" entre ces "communautés qui ont beaucoup de choses en commun", Sihame Assbague, représentante du collectif "Stop le contrôle au faciès", déplore un système d’éducations parallèles en France. "Après la maternelle, les juifs et les musulmans ne vont plus aux mêmes écoles", lance cette ancienne professeure de français dans un collège de banlieue. Selon elle, les musulmans et les juifs ne se connaissent tout simplement pas.

Ainsi prolifèrent de "fausses perceptions de l’autre". "À travers l’islam, le juif c’est la figure du traître. On considère qu’il fait partie d’un grand échiquier complotiste, explique le sociologue Omero Marongiu-Perria. À l’inverse, les juifs ont une image très péjorative du musulman, qu’ils voient comme quelqu’un de haineux."

Sihame Assbague assure pour sa part que les jeunes musulmans dont elle a été la professeur ne sont pas antisémites : "L'un d'eux m'a même dit : 'Madame, on ne peut pas détester les juifs, on ne les connaît pas ! ' Personne dans les quartiers n’est biberonné à l’antisémitisme, comme on peut l’entendre."

Comme pour, à son tour, contredire un préjugé, une femme dans la salle lance : "Moi je suis Française, je suis juive, et je n'ai rien à voir avec M. Netanyahou !"

"La communauté juive est privilégiée par l’État"

Pour la militante Sihame Assbague, les relations tendues entre les communautés sont plutôt le fait des élites. "Il y a des éducations différenciées, un accès aux soins différencié et un traitement politique différencié des deux communautés." Autre constat amer : le deux poids-deux mesures dans la lutte contre l’antisémitisme et l’islamophobie.

"La communauté juive est privilégiée par l’État", estime-t-elle. Une "culpabilité" qui remonte à la déportation, sous le gouvernement de Vichy durant la Seconde Guerre mondiale, de 73 000 juifs vers les camps nazis, rappelle Esther Benbassa. "Le but n’est pas de donner moins aux juifs, c’est très bien ce qui est fait pour eux, mais il ne faut pas léser les autres communautés", insiste Sihame Assbague.

Face à une communauté juive structurée et implantée en France depuis le Moyen Âge, la communauté musulmane serait, elle, encore "vulnérable et mal représentée", observe pour sa part Mehdy Belabbas, adjoint au maire d’Ivry. "La communauté juive s’en sort mieux, se défend mieux. Il y a une forme de jalousie de la part des musulmans qui aimeraient pouvoir mieux s’organiser."

Ce "traitement privilégié" cristallise ainsi les tensions et les musulmans entrent dans une "concurrence des mémoires", une sorte de surenchère des souffrances, juge l’écrivain Marc Cheb Sun, auteur de "D’ailleurs et d’ici". "L’héritage de violences du colonialisme, par exemple, n’est pas suffisamment pris en considération. Or, quand on n’a pas lu une page, c’est très difficile de la tourner."