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"Spartacus et Cassandra" : journal intime et poétique de deux enfants roms

Bouleversant documentaire signé Ioanis Nuguet, "Spartacus et Cassandra" retrace une année et demie de la vie de deux adolescents roms tiraillés entre deux modes de vie. Un film vibrant sur l'enfance et sa capacité à s'armer contre l'âpreté du monde.

Chaque mardi, France 24 se penche sur deux films qui sortent en salles. Cette semaine, le bouleversant documentaire "Spartacus et Cassandra" de Ioanis Nuguet et l’emberlificoté thriller politico-financier "L’Enquête" de Vincent Garenq.

Avec de tels prénoms, leur destinée ne pouvait être qu'exceptionnelle. Spartacus et Cassandra sont deux enfants roms, un frère et une sœur de 13 et 11 ans que la providence – ou tout simplement le hasard – a bien voulu aider à dépasser leur condition. Non sans peine.

Accueillis au sein d’un cirque de la banlieue parisienne, qui leur assure un toit, un couvert et une scolarité, les deux adolescents doivent composer avec des parents qui les réclament à leurs côtés, dans des campements de fortune ou à la rue. Une vie de constants tiraillements qu’Ioanis Nuguet, dont c’est ici le premier long-métrage, filme à la manière d’un journal intime adolescent écrit à quatre mains. Parti pris qui fait la force de ce bouleversant documentaire.

Alors que la tendance voudrait que le cinéma du réel (comme on appelle pompeusement le genre documentaire) ne s’embarrasse pas d’effets susceptibles de travestir la réalité crue, "Spartacus et Cassandra" fait le choix délibéré des artefacts dramatiques : musique quasi omniprésente, caméra virevoltante, commentaires en voix off du frère et de la sœur qui amarrent le récit à leurs points de vue.

Dilemmes des héros tragiques

En se plaçant ainsi à hauteur de ses sujets - quitte à reléguer au second plan adjuvants (Camille, la bienfaitrice propriétaire du cirque) et opposants (les parents, la justice) de cette quête de vie meilleure -, Ioanis Nuguet signe bien plus qu’un documentaire : un beau et vibrant film sur l’enfance et sa capacité à s’armer contre la dureté du quotidien.

Confrontés dès le plus jeune âge aux dilemmes de héros tragiques (refus de la fatalité, reniement de la famille, sentiment de culpabilité face au bonheur, etc.), Spartacus et Cassandra ne cèdent jamais à la noirceur des sentiments. Lui, canalise sa colère par le slam et le rap. Elle, s’abandonne aux menus plaisirs d’une balade à la campagne, à l’ivresse d’un spectacle de cirque, à la chaleur d’une main arrangeant ses tresses. Bref, à tout ce que sa vie d’errance passée lui avait confisqué.

Pareille disposition pour la poésie, voire l’onirisme, n’empêche cependant pas le film de saisir des moments de vérité. "Maintenant que nous sommes devenus enfants, que vont devenir ma mère et mon père ?", s’interroge Cassandra. Les tranches de vie que les deux enfants partagent avec leurs géniteurs constituent les instants les plus poignants du documentaire. Les scènes montrant les pleurs du père, que l’on sait alcoolique et violent, ou les supplications éplorées de la mère paraîtraient cruelles si elles n’alternaient avec des moments de réelle complicité. Quelle est la meilleure voie pour Spartacus et Cassandra ?, interroge sans cesse le film. "Pour que je ne voie plus mes parents, il faut qu'ils apprennent à ne plus vivre avec nous", finit par trancher la petite fille. Déchirant.

-"Spartacus et Cassandra" de Ioanis Nuguet, avec Spartacus Ursu, Cassandra Dumitru, Camille Brisson… (1h21).