!["Les Nuits d'été" : le charme discret des travestis en temps de guerre "Les Nuits d'été" : le charme discret des travestis en temps de guerre](/data/posts/2022/07/20/1658293225_Les-Nuits-d-ete-le-charme-discret-des-travestis-en-temps-de-guerre.jpg)
Dans "Les Nuits d'été", son premier film, Mario Fanfani suit les atermoiements d'un notable de province des années 1950 tiraillé entre sa vie de famille et son besoin d'être femme. Un pudique drame pacifiste sur fond de guerre d'Algérie.
Chaque mardi, France 24 se penche sur deux films qui sortent en salles. Cette semaine, le délicat drame pacifiste "Les Nuits d’été" de Mario Fanfani ; et le grandiloquent mais efficace biopic "Imitation Game" de Morten Tyldum.
"La guerre, tu n'as que ce mot à la bouche." Port altier, jambes délicatement croisées, Mylène s'agace des obsessions de son amie Flavia. Chaque fois que les deux comparses se retrouvent pour le thé, il faut que les "événements" en Algérie s'invitent dans leurs futiles conversations. Nous sommes en 1959, et Mylène, comme la majorité des Français, ne veut pas entendre parler des combats qui opposent, de l’autre côté de la Méditerranée, l’armée française aux nationalistes algériens.
Des œillères, la France de ces années 1950 en porte plusieurs paires. La guerre - que l’ancienne puissance coloniale ne veut d’ailleurs encore désigner comme telle - n’est pas la seule réalité qu’elle refuse de voir en face. Mylène le sait bien, elle qui doit cacher son existence à temps partiel pour ne pas être vouée aux gémonies. Car Mylène n’est pas une femme à plein temps. Mais le pendant féminin de Michel (Guillaume de Tonquédec), notaire respectable et père de famille respecté de Metz qui se travestit, selon un rituel bien rodé, plusieurs après-midis par semaine dans sa villa de chasse de la campagne lorraine.
De cette semi-clandestinité, le réalisateur Mario Fanfani tire, avec "Les Nuits d’été", un premier long-métrage pudique et délicat sur le droit à la différence et le rejet épidermique qu’une génération d’hommes, traumatisés par deux guerres mondiales successives, a pu éprouver vis-à-vis de toutes les formes de conflit. Jamais le film n’interroge la sexualité de ses personnages. Michel/Mylène, son ami Jean-Marie/Flavia (Nicolas Bouchaud) et la joyeuse bande de travestis qui gravite autour d’eux se veulent femmes par refus de la virilité guerrière que cette France, désespérément accrochée à son empire colonial, érige alors en valeur absolue.
En ce temps où le général de Gaulle est lui-même qualifié de "mauviette" par les tenants de l’Algérie française, "être un homme, un vrai" semble constituer l’unique rempart au déclin fantasmé du pays. "Je suis un lâche", confie un jeune déserteur (Mathieu Spinosi) ayant trouvé refuge auprès des travestis. "J'ai tenu un fusil, j'ai tiré sur des hommes, et crois-moi, cela n'a rien de courageux", lui répond Flavia.
Des femmes plus pot-au-feu qu'amazone
Loin de l’étude des mœurs caricaturale qu'offraient "La Cage aux folles" et "Pédale douce", "Les Nuits d’été" s’attache à montrer l’idéal de vie d’un microcosme qui s’érige contre le système patriarcal dominant, non pas le poing levé, mais la robe bien mise. Leur modèle est d’ailleurs celui de la femme au foyer de l’époque. Celle qui fait les courses, repasse les chemises et reprise les vêtements. Un acte de résistance plus pot-au-feu qu'amazone, une version pépère, pour ne pas dire pantouflarde, du "Laurence Anyways" de Xavier Dolan.
Tourné dans un format quatre tiers qui lui confère une esthétique polaroïd de vieil album photo retrouvé au fond d’une malle, "Les Nuits d’été" cache sous ses apparences de film d’époque une thématique contemporaine. À l’heure où une frange de la société française est prise de convulsions à l’évocation de la fameuse "théorie du genre", Mario Fanfani vient rappeler qu’être homme ou femme relève aussi de la construction. "On ne naît pas femme, on le devient", cite Michel/Mylène.
Dans "Les Nuits d’été", le plus grand acte de bravoure est d’ailleurs accompli par Hélène (délicieuse Jeanne Balibar), la femme de Michel, le plus beau personnage du film. À la faveur d’une réception mondaine donnée en l’honneur de son mari, l’épouse que l’on pensait dévouée livre, devant la bonne société lorraine, un virulent réquisitoire contre ce qu’elle ose appeler la guerre en Algérie. Avec ce discours anti-militariste, elle perd en respectabilité ce qu’elle gagne en humanité. "Il fallait en avoir", aurait-on dit à l’époque.
-"Les Nuits d'été" de Mario Fanfani, avec Guillaume de Tonquédec , Jeanne Balibar, Nicolas Bouchaud, Mathieu Spinosi, Serge Bagdassarian... (1h40)