La police était toujours jeudi matin sur la piste des deux suspects de l'attentat contre "Charlie Hebdo" : Chérif et Saïd Kouachi, deux frères déjà connus des services antiterroristes. Le premier avait déjà été condamné en 2008.
Ils sont devenus en quelques heures les suspects les plus recherchés de France : Chérif et Saïd Kouachi, deux Français, sont soupçonnés d’être les auteurs de la fusillade à "Charlie Hebdo" qui a fait douze morts, mercredi 7 janvier, parmi lesquels plusieurs grands noms du journal satirique : Cabu, Charb, Wolinski, Honoré et Tignous. Ils ont été localisés jeudi dans l'Aisne.
Les enquêteurs ont réussi à les identifier après avoir retrouvé une pièce d'identité de l'un d'eux dans la voiture qu'ils ont abandonnée dans le nord-est de Paris, selon une source proche du dossier.
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Respectivement âgés de 32 et 34 ans, les deux frères nés à Paris ne sont pas inconnus des services judiciaires. Les deux suspects avaient fait l'objet d'une surveillance par les services antiterroristes mais aucun élément les concernant ne laissait présager d'un passage à l'acte imminent, a déclaré jeudi le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, sur Europe 1.
La filières des Buttes Chaumont
Des deux frères, le benjamin Chérif Kouachi a le parcours le plus édifiant. Le jeune homme, surnommé Abou Assen, avait été condamné en 2008 à trois ans de prison, pour avoir participé à une filière d’envoi de combattants en Irak, dite la "filière des Buttes Chaumont", sous l’autorité de "l’émir" Farid Benyettou. Il avait été arrêté le 25 janvier 2005 à l'aéroport juste avant de décoller pour la Syrie afin de rejoindre l'Irak.
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Deux ans plus tard, son nom apparaît dans une autre affaire judiciaire : il est cité dans un projet pour faire évader un ancien membre du Groupe islamique armé algérien (GIA), Smaïn Aït Ali Belkacem, condamné en 2002 à la réclusion criminelle à perpétuité pour son implication dans la vague d'attentats commis dans le RER à Paris en 1995. Il bénéficiera finalement d’un non-lieu. Cette enquête avait montré que Chérif Kouachi était lié à Djamel Beghal, une autre figure de l'islam radical français.
À sa sortie de prison, Chérif tentera de se faire oublier quelques temps et partira s'installer à Reims dans un petit appartement - aujourd'hui perquisitionné.
Selon un article du "Monde" datant de 2008, sa révélation pour le "jihad" a eu lieu en 2003, quand Chérif et ses "frères" ont commencé à fréquenter la mosquée Adda'wa, dans le quartier Stalingrad, à Paris. C'est dans ce lieu de culte qu’il a rencontré Farid Benyettou. Ce dernier se targue d’avoir une connaissance approfondie de l'islam. "Avec lui, les jeunes gens suivent des cours de religion, à son domicile et dans un foyer du quartier. Certains s'y rendent presque tous les jours", écrit le quotidien.
Pendant son procès en 2008, Chérif avait laissé voir l’étendue de sa fanatisation mais aussi de son dilettantisme : il s’entraînait sporadiquement en vue de son départ en Irak, faisait un peu de jogging au parc des Buttes Chaumont et ne connaissait presque rien aux armes. Il paraissait pourtant sûr de son choix. "Farid [Benyettou] m’a dit que les textes donnaient des preuves du bienfait des attentats-suicide. C’est écrit dans les textes que c’est bien de mourir en martyr", avait-il alors déclaré.
Une enfance chaotique
Un autre article de "Libération" publié en 2005, à l'époque du démantèlement de la filière jihadiste, est également revenu sur le parcours de ce jeune jihadiste. Le quotidien rappelait alors que Chérif Kaouchi était un orphelin, ayant perdu ses deux parents immigrés d'Algérie durant son enfance. Il a été élevé en foyer à Rennes avant de passer un brevet d'éducateur sportif et de gagner la capitale. Il n'aurait jamais quitté l'Hexagone. Hébergé avec son frère Saïd chez un Français converti, ce livreur de pizzas avait "plus le profil du fumeur de shit des cités que d'un islamiste du Takfir", estimait à l’époque son avocat Vincent Ollivier. "Il fume, boit, ne porte pas de barbe et a une petite amie avant le mariage."
On connaît moins de choses sur le parcours de son grand frère Saïd, né en septembre 1980 dans le Xe arrondissement parisien. La police le présente comme un homme aux yeux marrons, avec de courts cheveux et une fine barbe.
"Trous inévitables dans les mailles du filet"
En quelques années, l’amateurisme de l’adolescent Chérif, sous la coupe de Benyettou, s’est mu en un professionnalisme glaçant. D'après les vidéos de la tuerie à "Charlie Hebdo", le suspect semble manier sans aucun problème la kalachnikov et autres armes de guerre.
Beaucoup se demandent donc pourquoi les deux frères n'ont pas été appréhendés s'ils étaient connus des services de sécurité. Une source policière a expliqué jeudi que les deux frères n'étaient pas identifiés comme "des cibles pouvant passer à l'acte", bien que Chérif soit l'objet d'une fiche S (Sûreté de l'État). "Mais ce n'est pas parce que vous êtes connu [des services anti-terroristes], que vous êtes surveillé en permanence", a souligné Eric Dénécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). "À un moment, la surveillance s'arrête, surtout si vous êtes assez malin pour vous tenir à carreau pendant un moment. Ce sont les trous inévitables dans les mailles du filet."
Dans un premier avis de recherche diffusé en début de soirée figurait le nom d'un troisième suspect, Mourad Hamyd, 18 ans. Ce dernier est le beau-frère de Chérif Kouachi. Il était soupçonné d'avoir aidé les tireurs mais s’est rendu de lui-même au commissariat "après avoir vu que son nom circulait sur les réseaux sociaux", a expliqué une source proche du dossier. Des internautes se présentant comme ses camarades de classe affirment que Mourad Hamyd était en cours avec eux au lycée au moment de l'attaque.
Au total, sept personnes ont été placées en garde à vue mercredi soir, selon une source judiciaire. Il s'agit de personnes "dans l'entourage" des frères Kouachi.
Avec AFP