![Le Leopold Café rouvre ses portes Le Leopold Café rouvre ses portes](/data/posts/2022/07/14/1657784045_Le-Leopold-Cafe-rouvre-ses-portes.jpg)
Leela Jacinto est l'envoyée spéciale de France24.com à Bombay. Objectif : enquêter sur les attaques terroristes, comprendre ce qui s'est passé, parcourir la ville et rencontrer ses habitants. Posez-lui vos questions en cliquant sur 'Réagir'.
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Aujourd’hui, le Leopold Café a levé son store métallique et ouvert ses portes au public.
Le très populaire café de Bombay, situé dans le quartier branché de Colaba, a été la première cible des attaques qui ont frappées la ville pendant trois jours.
La nuit du 26 novembre, des militants s’y sont introduits grenades en mains et, dans une terrible fureur, ont ouvert le feu à l'aveuglette sur le personnel et les clients. Bilan : dix personnes ont été tuées, dont deux serveurs et quatre ressortissants étrangers.
Trois jours et quantité d’événements douloureux plus tard, le Leopold Café a rouvert ses portes, preuve s'il en est de l'esprit indomptable de cette ville.
Bravant la barrière des journalistes amassés sur le trottoir, irrités et dégoulinants de sueur, je baisse la tête pour éviter les aisselles auréolées et malodorantes et me glisser dans le café. J'ai un attachement particulier pour cet endroit. Je m’en serais voulue si je n’étais pas parvenue à y entrer.
Lieu de rendez-vous des étudiants, le Leopold était l’un de nos points de rencontre fétiches, à la fin des années 1980. Son propriétaire, Farzad Jehani, nous regardait alors avec bienveillance siroter nos tasses de thé bon marché et partager une assiette pour ne pas écorcher nos budgets (réduits) d’étudiants.
Aujourd’hui, Farzad Jehani, 44 ans, est devenu une star des médias. Les équipes de télévision suivent agressivement le moindre de ses mouvements, n’hésitant pas à jouer des coudes, voire à pratiquement frapper la foule de badauds qui arpente systématiquement les rues de Bombay à chacun de ses déplacements.
Les équipes australiennes l’observent de particulièrement près. Le Leopold Café est devenu un passage incontournable sur le circuit australien - pour ne pas dire international - des backpackers (ou "voyageurs avec sac-à-dos", ndlr), depuis qu’il figure dans le roman à succès "Shantaram", écrit par l’Australien Gregory David Roberts. Au moment où je manque (de peu) de me faire arracher un œil par un cameraman australien, quelqu’un me confie qu’une adaptation cinématographique de cette histoire devrait être tournée prochainement, avec Johnny Depp.
Ah, la rançon de la gloire…
Pourtant, Farzad Jehani reste terre-à-terre, comme il l’a toujours été. Une fois son attention captée, il me montre les lieux, tirant sur une nappe pour révéler un immense trou où a explosé la première grenade en cette funeste soirée de mercredi soir.
"Deux hommes armés sont entrés et ont vidé leur chargeur dans le restaurant", précise Farzad Jehani, qui se trouvait sur la mezzanine de l’établissement.
Après leur accès de violence dans le café, ils sont ressortis dans la rue pour se diriger vers l’hôtel Taj Mahal, situé à quelques rues. Pendant les attaques de Bombay, le Taj Mahal a été le lieu où les affrontements ont été les plus longs et les plus violents entre les forces de police indiennes et les militants.
“J’ai comme le sentiment qu’ils voulaient juste faire diversion, pour éviter au policiers de se concentrer sur le Taj”, ajoute Farzad Jehani.
Nilesh Patil a quitté son village natal il y a six mois pour se rendre à Bombay, où il travaille comme serveur. La nuit des attaques, il a perdu ses deux amis et collègues, Piru et Kaji.
Nilesh Patil partage une chambre avec plusieurs autres jeunes hommes. C’est le cas de millions d’immigrés issus des campagnes déshéritées de l’Inde, venus à Bombay en quête de la vie glamour entraperçue dans les films de Bollywood.
Regrette-t-il ce voyage vers une métropole bruyante, frénétique et - désormais - en proie à la violence ?
Non, pas une seconde. "Yeh Bumbai hai", ajoute-t-il simplement en hindou. Bombay, c’est aussi cela. Une ville crasseuse, qui grouille de monde, perchée sur la côte occidentale de l’Inde et qui ne cessera jamais d’attirer les habitants du sous-continent.
En ce dimanche matin de deuil, Jehani compte bien puiser dans l’esprit d’endurance qui fait la réputation de Bombay.
"Cette maison a 137 ans d’histoire. Ma famille l’a maintenue en marche à travers les crises les plus dures. Ils ne tueront pas notre esprit", affirme-t-il.
La vie continue. C’est le message que s’efforce de transmettre Jehani. Nous faisons de même, pour l’instant. Mon ami commande un thé et un sandwich végétarien. Ils arrivent en un éclair. Bouleversé par l’énormité des événements, le personnel refuse de nous laisser régler l’addition.
Nous insistons. Après un long bras de fer, nous obtenons finalement gain de cause. Ce sera quatre-vingt sept roupies pour deux thés et un sandwich : la première addition depuis la réouverture du Leopold Café. Nous payons, avant de nous disputer le privilège de garder la note, en guise de souvenir.