
Chaque mardi, France 24 se penche sur deux films qui sortent dans les salles françaises. Cette semaine, le film d’animation "Astérix : le Domaine des Dieux" d’Alexandre Astier et Louis Clichy, et le mélo "The Search" de Michel Hazanavicius.
-"Astérix : le Domaine des Dieux" : en digne héritier de Goscinny
Il n'y a pas qu'avec les Romains qu'Astérix aura eu maille à partir. Le moins que l'on puisse dire, c'est que depuis la fin des années 1960, le plus célèbre des Gaulois (après Vercingétorix, bien sûr) n'a pas toujours été bien traité par le septième art.
Après avoir commis une kyrielle de dessins animés reprenant quasiment mot pour mot et image par image les bandes dessinées dont ils s'inspiraient ("Astérix le Gaulois", "Astérix et Cléopâtre", "Les Douze Travaux d’Astérix"…), l'industrie du cinéma se mit en tête de porter à l'écran les aventures de nos chers irréductibles avec des acteurs de chair et d'os ("Astérix et Obélix contre César", "Astérix aux Jeux olympiques", "Astérix et Obélix : au service de sa Majesté"...). Or on se souvient qu'une fois notre curiosité satisfaite de voir Gérard Depardieu se démener dans les braies d'Obélix, on ne retint pas grand chose de ces gauloiseries sinon qu'elles étaient plus drôles dans les albums d'origine.
Seul Alain Chabat avec "Astérix et Obélix : mission Cléopâtre" (2002) parvint à produire une truculente comédie populaire digne de l'esprit facétieux qui gouverne les œuvres dessinées des géniaux René Goscinny et Albert Uderzo. Effort d'ailleurs récompensé par le box-office français puisque le film de l'ex-Nul demeure, avec plus de 14,5 millions d'entrées, le quatrième plus gros succès hexagonal de tous les temps.
Difficile de dire si le film d'animation "Le Domaine des Dieux" connaîtra pareille fortune mais ses deux réalisateurs, Alexandre Astier et Louis Clichy, n'ont en tous cas pas à rougir de leur copie. Inventif, drôle et aussi malin que son héros au casque ailé, cette adaptation du 17e album d'Astérix est une réussite.
Il faut dire qu'en tant que scénariste, Alexandre Astier (dont on connaît le talent d’écriture depuis la série télévisée à succès "Kaamelott") a travaillé sur une matière première sertie de diamants. Petit rappel pour ceux qui n’auraient pas lu la bande dessinée parue en 1971 : bien décidé à ce que les insoumis Gaulois, qui résistent encore et toujours à son empire, n'entrent définitivement dans son giron, le grand Jules César ordonne la construction d'un complexe touristique autour de leur paisible village d'Armorique. "Encerclés par la civilisation romaine, les Gaulois seront ainsi condamnés à s'adapter ou à disparaître", croit savoir l'empereur.
Le machiavélique plan fait tout de suite des merveilles. Trop contents de voir débarquer des hordes de touristes prêts à dépenser une fortune pour du poisson pas frais ou des antiquités qui n'en sont pas (on aura reconnu les inénarrables Ordralfabetix et Cétautomatix), les villageois se laissent insidieusement gagner par les mœurs romaines...
On mesure ici la portée politique du propos. L’espiègle charge portée il y a plus de 40 ans par René Goscinny contre le tourisme de masse et l’impérialisme culturel reste d’une brûlante actualité. On saura gré à Alexandre Astier de n’y avoir presque pas touché. Sauf pour y distiller de savoureuses saillies qui font mouche auprès du public d'aujourd'hui. Du centurion appelé "Travaillerpluspourgagnerplus" aux revendications sociales des soldats fatigués de se prendre des baffes ("La guerre oui, la pénibilité non !") en passant par les accents gaullistes du chef Abraracourcix ("Je vous ai compris !"), les clins d’œil aux faits politiques récents sont légion.
Mais la grande idée d’Alexandre Astier et de Louis Clichy est surtout de s’être à nouveau tournés vers l’animation pour restituer l’univers de la bande dessinée. Un retour aux fondamentaux qui permet de retrouver à l'écran toute la démesure d'une action dopée à la potion magique. Comme lors de cette amusante séquence d'ouverture où un sanglier est utilisé comme un ballon de football américain. Ou dans ces scènes d'homériques bastons durant lesquelles Obélix se mue, à la manière de l'incroyable Hulk, en monstre au grand cœur. Bref, ça cogne, ça virevolte, ça court à mille à l’heure, ça envoie au tapis... Bienvenue chez les Gaulois !
Grâce à l'animation, les deux réalisateurs ont également pu recourir aux voix françaises qui semblent aujourd’hui les mieux taillées pour la comédie (Lorànt Deutsch, Élie Semoun, Laurent Lafitte, Florence Foresti, François Morel...). Et retrouver celle de Roger Carel qui agit comme une véritable madeleine de Proust tant elle reste, depuis les premiers dessins animés, irrémédiablement attachée à Astérix.
Sans vouloir verser dans le Cocorico enthousiaste, on se réjouira qu’une production française puisse rivaliser avec la qualité des animations hollywoodiennes qui, par leur impertinence, ont su conquérir aussi bien les enfants que les adultes. Bien avant Pixar (les sagas "Toy Story", "Cars", etc.) ou Dreamworks ("Shrek", "Madagascar", etc.), il se trouvait donc en France des créateurs de génie qui croquaient les travers de leurs contemporains avec la même malice que les studios hollywoodiens. Ils s'appelaient René Goscinny et Albert Uderzo.
-"The Search" : méli-mélo en Tchétchénie*
Trois ans après "The Artist", qui lui valut l’Oscar du meilleur réalisateur, le Français Michel Hazanavicius est parti tenter l’aventure du côté d’Hollywood avec un drame de guerre produit par la Warner. Véritable tournant dans la filmographie d’un réalisateur habitué aux comédies, "The Search" semble n’avoir malheureusement d’autre utilité que de prouver le courage de son auteur. Courage de s’être aventuré dans le mélo. Courage de s’être immiscé sur un terrain peu exploré : la seconde guerre de Tchétchénie en 1999. Courage, aussi, de s’être inscrit dans les pas du prolifique Fred Zinnemann (1907-1997), auteur du classique hollywoodien "Le train sifflera trois fois" et du moins célèbre "Les Anges marqués", film sur la Seconde Guerre mondiale dont "The Search" est le remake.
À l’instar de son modèle, le cinquième long-métrage de Michel Hazanavicius entend montrer l’horreur de la guerre à travers le récit d’un jeune orphelin tchétchène trouvant refuge auprès d’une bonne âme. Ici, le Bon Samaritain est interprété par Bérénice Bejo, l’épouse de Michel Hazanavicius, qu’on a connue ailleurs plus inspirée et plus inspirante. En chargée de mission de l’Union européenne, aussi morne que l’institution qu’elle représente, la comédienne est à mille lieues de sa prestation dans "Le Passé", qui lui permit de décrocher le prix d’interprétation féminine au festival de Cannes 2013. La faute à la platitude de son personnage qui, à aucun moment, ne permet à la relation mère-fils naissante de susciter un quelconque début d’émotion.
>> À voir dans l'émission À l'affiche : "Michel Hazanavicius, une vie parès 'The Artist'"
"The Search" grouille de ces scènes censées remuer le spectateur mais qui laisse de marbre tant on les voit venir à des kilomètres. Qu’il s’agisse de la guerre comme mécanique de déshumanisation ou des rapports entre un enfant et une mère de substitution, Michel Hazanavicius ne nous montre rien de plus qu’on ait déjà vu au cinéma. Étrange panne d’inspiration de la part de celui qui, avec "The Artist", parvint à faire du neuf avec du vieux.
*Le passage consacré à "The Search" reprend en partie l’article publié lors de la présentation du film au dernier festival de Cannes.
-"Astérix : le Domaine des Dieux" d’Alexandre Astier et Louis Clichy, avec les voix de Roger Carrel, Guillaume Briat, Alexandre Astier, Lorànt Deutsch, Alain Chabat…
-"The Search" de Michel Hazanavicius, avec Bérénice Bejo, Annette Bening, Abdul Khalim Mamutsiev…