En Tunisie se tient ce dimanche la première présidentielle depuis la chute de Ben Ali. Béji Caïd Essebsi, du parti Nidaa Tounès, est donné favori face au sortant Moncef Marzouki, tandis que les islamistes d'Ennahda n'ont pas présenté de candidat.
- 5,3 millions d’électeurs
- 27 candidats en lice
- Résultats du premier tour : 26 novembre
- 2e tour : fin décembre (si pas de majorité absolue)
- Mandat présidentiel de 5 ans, renouvelable une fois
Pour la première fois, dimanche 23 novembre, les Tunisiens choisissent librement leur président de la République. Si les pouvoirs du nouveau chef de l’État seront restreints, conformément à la nouvelle Constitution adoptée en janvier 2014, le symbole n’en reste pas moins fort.
La classe politique tunisienne a réussi à éviter le chaos qui a suivi les révolutions dans le reste du monde arabe. Et cette élection est vue comme un nouveau pas sur la voie de la stabilité. Toutefois, le retour progressif sur le devant de la scène d’anciens piliers du RCD, le parti hégémonique de Zine el-Abdidine Ben Ali dissout en mars 2011, inquiète certains Tunisiens.
L’analyste tunisien Selim Kharrat juge cependant que des "contre-pouvoirs", notamment une société civile forte, s’activeront comme au cours de ces dernières années "pour que le processus démocratique puisse continuer". "Le climat est conforme à une démocratie naissante. Tout n'est pas parfait. Néanmoins, on a une forme de pluralité aujourd'hui", note-t-il. Pour preuve, 27 candidats sont en lice pour le scrutin de dimanche. Cinq d’entre eux ont annoncé leur retrait, des décisions trop tardives pour être enregistrées par l’instance électorale.
L’anti-islamiste Béji Caïd Essebsi part grand favori
Le premier tour de l’élection présidentielle intervient quelques semaines après les législatives remportées par le parti Nidaa Tounès. À la tête de cette formation ouvertement anti-islamiste : Béji Caid Essebsi, le favori. Avocat de formation, "BCE", qui aura 88 ans le 29 novembre, a une santé fragile. Il connaît les rouages du pouvoir comme en atteste son CV à rallonge : ambassadeur et plusieurs fois ministre sous Habib Bourguiba, premier président de la Tunisie indépendante ; député sous l’étiquette du RCD et président de la chambre des députés sous Ben Ali ; Premier ministre durant la transition. Cet homme répète à l’envi vouloir "rétablir l’autorité de l’État". Il assure pouvoir apporter un souffle nouveau à son pays pour l’"amener au XXIe siècle" mais symbolise pour ses opposants l’homme des réseaux de la dictature déchue.
Son principal adversaire n’est autre que l’actuel président par intérim depuis fin 2011, Moncef Marzouki, qui n’a pas de mots assez durs à son encontre. "L’ancien régime, c’est sa dernière bataille. Parce que quand il y a une révolution, il y a toujours une contre-révolution, et la contre-révolution est en train de livrer sa dernière bataille et elle va perdre", a-t-il déclaré à l’AFP en marge d’un meeting. "Je resterai ouvert à tous les partis qui soutiennent ce projet, celui de construire une nouvelle Tunisie sur les ruines de l'ancienne. Le palais présidentiel sera encore plus ouvert qu'avant", a-t-il également affirmé. Moncef Marzouki "a mené une campagne très active", explique Marine Casalis, correspondante de France 24 à Tunis. Mais il est critiqué pour son bilan mitigé à la tête du pays au cours des trois dernières années. Son parti, le Congrès pour la république, n’a d’ailleurs obtenu que quatre sièges aux législatives du 26 octobre.
Deux autres candidats espèrent tirer leur épingle du jeu. Tout d’abord, Hamma Hammami, leader du Front populaire qui a remporté quinze sièges lors des législatives. Opposant de longue date de l’ancien régime, il peut s’appuyer sur son engagement politique. Ensuite Slim Riahi, un homme d’affaires qui représente l’Union patriotique libre, arrivé troisième aux dernières élections. Âgé de 41 ans, il a fait fortune en investissant dans le pétrole et l’immobilier dans la Libye de Kadhafi.
Ennahda faiseur de roi ?
Les islamistes d’Ennahda, avec qui Moncef Marzouki était allié, ont fait le choix de ne pas présenter de candidat "pour l’intérêt national". Aux législatives, ils étaient arrivés derrière Nidaa Tounès, faisant les frais de la frustration des Tunisiens, notamment sur les questions de sécurité et d'économie. Pour le chef de file d'Ennahda, la vraie menace c'est le retour de l'ancien système. "Il y a dans ce pays une peur d'un retour à un parti unique qui contrôlerait toutes les administrations et toutes les institutions. Nous ne voulons pas que l'État soit dominé par une seule force", explique Rached Ghannouchi.
Sans candidat désigné, Ennahda n’a pas non plus donné de consigne de vote, laissant ses membres "élire un président qui garantisse la démocratie". Le report des voix de ses militants représente donc l’une des inconnues du scrutin, d’autant que Nidaa Tounès avait refusé de se prononcer sur un gouvernement d’union nationale demandé par le parti islamiste au lendemain des législatives.
Autre grande inconnue du scrutin : la participation. Combien, parmi les 5,3 millions d’électeurs tunisiens, prendront le chemin des urnes ? En octobre, plus de 3,5 millions d'entre eux (soit 70 % du corps électoral) avaient participé au vote. Près de quatre ans après le départ de Zine el-Abidine Ben Ali, les Tunisiens sont à nouveau appelés à montrer leur désir de démocratie alors que le chômage et la misère – facteurs-clés de la révolution – gangrènent toujours le pays.