Facebook et Apple vont proposer à leurs salariées américaines de financer la congélation de leurs ovocytes, pour leur permettre d'avoir des enfants plus tard. La mesure est loin de faire l’unanimité.
"Un bébé si je veux, quand je veux." Le slogan féministe des années 1970 semble profiter à Facebook et Apple. D’après la chaîne américaine NBC, les deux géants de la Silicon Valley vont en effet proposer à leur salariées de financer la congélation de leurs ovocytes, pour leur permettre d’avoir des enfants plus tard si elles le souhaitent.
Objectif : attirer davantage de femmes dans ces entreprises très masculines, où deux employés sur trois sont des hommes. En France aussi, les sociétés du secteur numérique n’emploient que peu de femmes. Elles représentent 28 % des salariés, d’après une étude du syndicat Syntec, publiée en 2013. Mais cette proposition, qui soulève également des questions éthiques, constitue-t-elle une avancée pour les femmes ?
Ce que proposent Facebook et Apple
Les deux compagnies couvriraient jusqu'à 20 000 dollars (16 000 euros) les frais d'une telle procédure. Selon des porte-parole, cités par NBC, Facebook a commencé récemment à comptabiliser la congélation des ovocytes dans la couverture médicale que l'employeur paye à ses salariés, et Apple fera de même à partir de janvier. Les deux groupes deviendraient les premières grandes entreprises à offrir à leurs employées une telle possibilité.
La proposition repose sur l’idée que les femmes auraient ainsi la possibilité ne plus sacrifier leur désir d’enfant à leur carrière. Elles pourraient repousser une première grossesse sans se soucier de l’horloge biologique, qui menace de s’enrayer après 35 ans, âge où les chances de grossesse par cycle tombent à 13 % (contre 25 % à 25 ans). De quoi séduire certains aux États-Unis, comme en France, où l’âge de la grossesse ne cesse de reculer depuis les années 1970.
Qu’en pensent les premières concernées ?
Loin de voir dans cette proposition une avancée sociale, l’association Osez le féminisme ! dénonce une stigmatisation de la maternité : "Qu’est ce que cela veut dire ? Qu’une femme qui a des enfants est un fardeau pour l’entreprise ? Qu’elle doit reporter sa grossesse ou renoncer à faire carrière ?", tempête Pauline Arrighi, sa porte-parole. Un avis partagé par Lucile Reynard, qui préside l’association Girlz in web. À 36 ans, mère d’un bébé de quatre mois, elle dirige une entreprise de conseil et de communication dans le numérique. "Quand un homme devient père, il est vu comme plus fiable et performant pour l’entreprise, c’est tout l’inverse pour les femmes. C’est cette façon de voir qu’il faut changer !"
Le domaine du numérique est encore peu investi par les femmes, mais ça n’est pas avec ce genre de mesures qu'on va les faire venir, selon cette professionnelle du secteur. Elle estime que c’est en amont qu’il faut traiter le problème. "On répète aux filles que ce ne sont pas des métiers pour elles, il faut agir là-dessus. Créer des bourses pour les étudiantes brillantes, aller à la rencontre des lycéennes pour leur expliquer que les femmes ont leur place dans ce secteur, voilà des idées intéressantes."
Autre proposition : donner plus de visibilité aux femmes en recrutant des dirigeantes qui, par l’exemplarité de leur carrière, ouvrent la voie. Lucile Reynard cite Marissa Mayer, la patronne de Yahoo !, ou encore Sheryl Sandberg, la directrice d'exploitation de Facebook, qui avait en 2013 publié "Lean In" ("Bougez-vous"), un livre dans lequel elle exhortait les femmes à "se bouger" pour réussir à concilier vie professionnelle et familiale.
Et, pour favoriser la parité en entreprise, Osez le féminisme ! comme Girlz in web militent tout simplement pour l’égalité salariale : "Les hommes gagnant en moyenne 30 % de plus que les femmes, ils ne sont pas poussés à prendre un congé parental à la naissance de leurs enfants car cela pénalise trop le foyer, du coup c’est très souvent la femme qui s’y colle", regrette Lucille Reynard.
Ce que dit la loi en France
Impossible, ceci dit, de voir une entreprise française faire une telle proposition. Si la congélation pour "convenance personnelle" est autorisée dans certains pays comme les États-Unis, l’Espagne, ou le Canada, elle est formellement interdite en France. En clair, dans l’Hexagone, seules les femmes rencontrant des problèmes de stérilité et bénéficiant pour cela d’une aide médicale à la procréation peuvent demander la conservation de leurs ovocytes. Depuis juillet 2011, la loi de bioéthique a cependant élargi cette possibilité aux femmes qui subissent un traitement médical susceptible de réduire leur fertilité, comme la chimiothérapie.
Au-delà de l’efficacité controversée de cette mesure en terme de parité, c’est le fait qu’une entreprise s’implique dans le domaine privé qui fait débat. "Sur le principe, on est favorables à cette technique qui offre davantage de liberté aux femmes. Mais ça n’est pas à l’entreprise de se mêler de sujets aussi cruciaux et intimes, ni de financer une technique qui doit être préalablement discutée", insiste Pauline Arrighi. Interrogé hier sur Europe 1, le professeur René Frydman, père scientifique des premiers bébés nés à partir d'un ovocyte congelé, s’est quant à lui insurgé contre "une OPA sur la vie privée des femmes".