
La capitale économique de l'Inde est depuis longtemps sur la liste noire des zones susceptibles d'être frappées par le terrorisme. Pourtant, lors des attentats du mercredi 26 novembre, la police de Bombay a commis de graves erreurs.
Pour prendre la mesure de l’incapacité des forces de sécurité à anticiper les attaques de Bombay ou à y mettre fin rapidement, il suffit de regarder une carte de la ville.
Les quartiers généraux de la police de Bombay, situés dans un bâtiment colonial britannico-gothique, est à deux encablures de l'hôtel Taj Mahal. Précisément là où un groupe d’assaillants a réussi à pénétrer dans l’établissement de luxe, armé jusqu’aux dents, munis d’armes automatiques et de grenades. Les terroristes sont parvenus à repousser les assauts des services de sécurité indiens durant plus de 48 heures.
"C’est tout à fait choquant. Cela s’est déroulé sous le nez de la police", explique Shishir Joshi, directeur éditorial du quotidien "Mid Day" basé à Bombay. "C’est un échec total. Pas juste une absence de renseignements. Mais aussi une incapacité à se mettre en état de marche.”
Les attaques, dans lesquelles au moins 155 personnes sont mortes et 387 autres ont été blessées, ont été menées apparemment par une douzaine d’assaillants. D’après les responsables de la sécurité indienne, leurs armes ont été amenées par bateau jusque dans les eaux territoriales de Bombay puis acheminées dans des canots à moteur. Quatre de ces dériveurs ont été arraisonnés par la police.
Située sur les côtes de la mer d’Oman, Bombay est connue pour être la "porte d’entrée vers l’Inde". Son nom est tiré d’une arche en basalte qui, depuis la mer, fait face à l’hôtel Taj. La plupart des sites pris d’assaut mercredi 26 novembre, aussi bien le Taj Mahal que l’hôtel Oberoi, le Café Léopold et le centre juif, sont à proximité du front maritime.
Depuis quinze ans, l’attention s’était focalisée sur le front de mer. Surtout après une série d’explosions meurtrières en mars 1993. Les armes utilisées lors de ces attentats avaient été acheminées par mer. Une enquête en 2001 avait abouti à la simple conclusion que les 7 516 kilomètres de côtes indiennes étaient "en grande partie non-protégées et non-surveillées."
Plus de dix ans plus tard, la police municipale ne dispose toujours pas d’une force maritime destinée à contrôler les eaux territoriales. "Nous savons depuis longtemps que le pays est très vulnérable sur son front maritime", reconnaît le commandant Alok Bansal, officier de marine et chercheur associé à l’Institut d’études et d’analyses sur la défense (Institute of Defence Studies and Analysis, IDSA), lors d’une interview accordée à l’agence de presse indienne Press Trust of India (PTI). "La sécurité maritime a toujours été le point faible en Inde."
Mais même sur la terre ferme, la police de Bombay s’est empêtrée dans une situation critique, dès le début des attaques de mercredi soir. Quelques heures seulement après le début de la série d’attaques coordonnées, la police de Bombay a perdu ses trois têtes dirigeantes.
Hemant Karkare, chef de la cellule anti-terroriste (Anti-Terror Squad, ATS), le commissaire de police Ashok Kamte et l’inspecteur de police Vijay Salaskar se sont précipités dans la gare centrale mercredi soir, pour mettre fin à la fusillade. Ces trois officiers de police renommés ont pourchassé les terroristes hors de la gare centrale, jusque dans des ruelles étroites, où ils ont été abattus.
Ces "rencontres" d’un autre genre
"Ils étaient en tête de la course-poursuite, ce qui est tout à fait inhabituel. Jamais vous n’auriez un tel scénario en France ou aux Etats-Unis. Jamais un chef du FBI ne serait en première ligne", rappelle Suketu Mehta, professeur de journalisme à l’université de New York et auteur d’un livre de témoignages "Maximum City : Bombay Lost and Found".
En quelques instants, la police de la ville a perdu ses membres les plus expérimentés. Hemant Karkare a servi comme agent secret. Il était membre du Research Analysis Wing (RAW), les services de renseignements indiens, avant de prendre la tête de la cellule anti-terroriste ATS. Ashok Kamte était une des personnalités les plus en vue de la police de Bombay. Quant à Vijay Salaskar, il était l’un des agents de police les plus renommés. Salaskar a appartenu à la brigade dite de "rencontre" ("encounter", en anglais). Il aurait ainsi tué des dizaines de criminels présumés.
Dans une ville où le réseau criminel est très étendu, une telle brigade de "rencontre" est un euphémisme, puisqu'il s'agit de l’élimination pure et simple de malfaiteurs par la police. Les forces de sécurité soutiennent qu’ils ont tué ces criminels au cours de "rencontres", et qu’ils se trouvaient en position d’autodéfense. Les associations de droits de l’Homme, elles, affirment que ces criminels sont abattus de sang froid.
Le professeur Suketu Mehta, qui a passé beaucoup de temps aux côtés de Vijay Salaskar pour écrire son livre, rappelle que la police de Bombay s’est souvent plainte de son manque d’équipement en armes à feu.
Ce vendredi, le quotidien "Times of India" rapportait qu’il faudrait une année supplémentaire pour que les agents de police soient équipés de meilleurs gilets pare-balles. Un accessoire qui aurait pu sauver la vie des trois officiers. Ces nouveaux gilets, commandés par la direction de la police, sont plus légers, couvrent davantage le corps et protègent contre toute attaque à l’arme à feu. Mais ils ne sont jamais arrivés à Bombay, à cause d’une erreur de livraison.