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#NotInMyName : un ancien jihadiste fait campagne contre l'EI

Hanif Qadir, le Britannique musulman à l'origine de la campagne #NotInMyName, lutte aujourd'hui contre l’extrémisme religieux. Il a pourtant lui-même été séduit par le jihad avant de rejoindre l’Afghanistan en 2002. Portrait.

Il fixe la caméra sans ciller, ses lunettes rectangulaires posées sur le nez, la voix calme et le regard rassurant. Quand Hanif Qadir, le fondateur d’Active Change – association de lutte contre l’extrémisme des jeunes - parle de sa répulsion pour l’organisation de l’État islamique (EI), on a du mal à croire que cet homme d’une cinquantaine d’années, à la bonhomie évidente, fut, à une époque, tenté par le jihad.

Et pourtant, avant de devenir ce fervent militant anti-jihad, dont le patronyme est devenu célèbre en même temps que sa campagne #NotInMyName ["Ne tuez pas d’innocents en mon nom"], Hanif Qadir avait, en 2002, rejoint l’Afghanistan dans l’espoir d’intégrer la nébuleuse terroriste d’Oussama Ben Laden.

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À l’époque, Hanif Qadir n’était pétri d’aucune forme de militantisme. Né en 1965 à Cleveland, dans le nord de l’Angleterre, le jeune Hanif passe son adolescence dans une banlieue multiculturelle au nord de Londres, à Walthamstow, où a déménagé sa famille originaire du Pakistan. Là-bas, influençable, il intègre un gang, se familiarise avec la violence, les bagarres. Comme beaucoup de jeunes de son clan, il pense défendre "sa" vision de la justice. "La plupart de mes combats dans la rue visait à défendre mes valeurs", confie-t-il au journaliste américain Amar Bakhsi, en 2007.

"Je me suis laissé glisser dans la radicalisation…"

Mais à 30 ans, plus mature, il décide de se prendre en main : il quitte son gang, ouvre un garage automobile avec ses deux frères. Il peine à grimper dans l’ascenseur social mais il s’accroche : sa petite entreprise emploie quinze personnes. "L’argent ne donne pas la même satisfaction que les combats de rues", raconte-t-il encore à Amar Bakhsi. "Quand tu ne te bats pas, il te manque quelque chose. Tu ne te sens puissant que lorsque tu sais que tu peux appeler ton gang à n’importe quel moment."

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En 2002, tout bascule. Quelques mois après l’attentat du World Trade Center, les États-Unis entrent en guerre contre l’Afghanistan. Hanif, comme beaucoup de jeunes musulmans britanniques à l’époque, est en colère. Il honnit la politique contre le terrorisme menée par l’ancien président américain George W.Bush. En tant que musulman, il se sent humilié. "Je me suis laissé glisser dans la radicalisation idéologique", confesse-t-il lors d’une interview à l’Institut politique d’Harvard. Il s’abreuve d’images, de vidéos de victimes civiles maltraitées par les soldats américains.

"Tout ça pour attraper 22 personnes dont les États-Unis ne peuvent même pas prouver l’implication dans les attentats du 11-Septembre", pense-t-il à l’époque. Il est séduit par les messages de propagande d’Al-Qaïda. Pour lui, la guerre contre le terrorisme est une croisade anti-islam.

La tentation du jihad

"Je pensais qu’il fallait agir pour sauver ces innocents. J’avais commencé par envoyer de l’argent à des fonds gérés par des Taliban. Mais je me disais : ‘ce n’est pas assez, il faut que nous [ses frères et lui] fassions plus’", explique-t-il au "Guardian". "Je voyais les agissements des Américains, qui se tenaient fièrement devant les corps de leurs victimes. Ils étaient arrogants. Je voulais mettre un terme à cette absurdité, à ce non-respect de la vie humaine. Alors, voilà, un jour, j’ai décidé d’aller faire mon jihad."

Accompagné de ses deux frères, il quitte le Royaume-Uni pour le Pakistan, rejoint la capitale Islamabad, où ses parents sont nés, puis Peshawar. De là, il se rend en Afghanistan. Il a à peine le temps de prendre ses marques que la désillusion le frappe de plein fouet. "Ce fut la douche froide. J’ai vu les Arabes et certains Taliban maltraiter les musulmans pakistanais, les Somaliens, les Soudanais", explique-t-il au "Guardian" en dénonçant "l’hypocrisie" des jihadistes vis-à-vis des civils et des combattants étrangers. "Les Américains se comportaient mal avec les Afghans, mais les Taliban faisaient de même, et ça, ça n’était pas juste", explique-t-il.

Il perd définitivement toute confiance dans cette "cause" après une rencontre avec un enfant croisé dans un camion, à moitié mourant, la tête en sang. "Il ne devait pas avoir plus de douze ans. J’ai appris qu’il avait été recruté [par les Taliban] dans un village de Peshawar. Ils l’ont envoyé au front, malgré son âge, sans entraînement, sans armes…", raconte-t-il à la BBC. Quelques semaines après son arrivée, il quitte l’Afghanistan et rentre au Royaume-Uni. "Vous avez sauvé cet enfant et cet enfant vous a sauvé", lui rétorque alors la journaliste de la BBC.

"L’organisation de l’EI, ennemi de l’humanité"

Paradoxalement, Hanif Qadir ne revient pas désorienté ou déçu. Trois jours après son retour, il apprend que le fils de l’un de ses amis a été mortellement blessé au visage dans une rixe entre gangs rivaux. C’est un deuxième électrochoc pour Hanif Qadir. Son combat va à cet instant changer d’orientation. Il décide de combattre la radicalisation des jeunes britanniques – quel que soit l’extrémisme dans lequel ils sont plongés. La Fondation Active Change naît un an plus tard, en 2003. Ses locaux, qui jouxtent la mosquée de son quartier, à Walthamstow, servent d’exutoire à des jeunes, englués dans la violence des gangs ou dans celle de l’extrémisme religieux – deux fléaux dont il peut désormais partager l’expérience.

Aujourd’hui, son association s’insurge contre les exactions commises par l’organisation de l’État islamique au nom de l'islam. Hanif Qadir, qui a connu les affres de l’endoctrinement et de ses dangers, n’a pas voulu rester les bras croisés. Sa campagne #NotInMyName, lancée après la décapitation de David Haines [travailleur humanitaire britannique] par l’EI, ne visait pas moins à protéger les plus vulnérables de la tentation jihadiste qu’à réaffirmer les valeurs de sa religion.

"Les jeunes musulmans britanniques en ont assez et sont fatigués de cette propagande haineuse des terroristes de l’EI et sa prolifération sur les réseaux sociaux. Ils sont en colère de voir ces criminels utiliser ces plateformes pour radicaliser les jeunes et diffuser leurs discours violents au nom de l'Islam", a-t-il indiqué sur le site d’Active Change. "Ces jihadistes ne sont pas des musulmans. Ils n’enseignent pas l’islam de la paix, de la compassion. Ce sont les ennemis de l’humanité."

La video de Active Change appellent les musulmans à crier leur colère contre l'organisation de l'EI