Figure emblématique de l’opposition à la politique d'assimilation forcée de la minorité ouïghoure menée par Pékin, l’économiste Ilham Tohti a écopé d’une peine de prison à perpétuité pour ses écrits. Les ONG dénoncent un verdict "honteux".
L'intellectuel ouïghour Ilham Tohti, figure critique mais modérée de la politique de Pékin dans la région autonome du Xinjiang (ouest de la Chine), a été condamné mardi 23 septembre à la prison à vie pour "séparatisme", selon ses avocats. Un verdict radical qui augure mal d'un apaisement dans cette vaste région musulmane rétive à la tutelle chinoise.
Après deux jours de procès sous haute surveillance la semaine dernière, le tribunal populaire intermédiaire d'Urumqi, capitale du Xinjiang, s'est prononcé en faveur de la plus lourde peine encourue, la prison à vie, a annoncé à l'AFP l'avocat Li Fangping, joint au téléphone depuis Pékin à la sortie de trois heures et demie d'audience.
>> À lire sur France 24 : "Huit Chinois exécutés au Xinjiang pour 'attentat terroriste'"
"Ilham a été condamné à la prison à vie pour séparatisme et tous ses biens confisqués. Ilham n'a dit qu'une phrase : ‘Je n'accepte pas ce verdict, je proteste !’", a rapporté peu après son deuxième avocat, Liu Xiaoyuan. Ce jugement est le plus sévère infligé depuis des années à un critique du régime, relèvent les analystes. "Il fera certainement appel", ont assuré ses défenseurs.
"Ce 23 septembre 2014, les autorités ont créé un ‘Mandela ouïghour’", a réagi sur Internet le romancier pékinois Wang Lixiong, critique déclaré de la politique chinoise au Tibet.
Enchaîné et privé de nourriture
Économiste respecté, enseignant à l'Université des minorités de Pékin et auteur de plusieurs ouvrages, Ilham Tohti était un observateur indépendant et écouté dans les chancelleries de la capitale sur l'évolution du Xinjiang, en proie à un regain de violences depuis l'an dernier.
itAdversaire déclaré de la politique d'assimilation forcée des Ouïghours et autres minorités menée d'une main de fer par Pékin, ce musulman âgé de 44 ans et père de trois enfants était aussi opposé à toute séparation du Xinjiang d'avec la Chine. Il contestait également le radicalisme islamiste, qui serait à l'origine, selon Pékin, d'une vague d'attentats meurtriers au Xinjiang et dans le reste de la Chine depuis plus d'un an.
Il avait fondé Uighurbiz.net, un site d'informations sur le Xinjiang, en chinois et en ouïghour. Ce site est bloqué en Chine depuis les émeutes interethniques meurtrières qui ont ensanglanté Urumqi en 2009, et fait près de 200 morts.
"Un affront à la justice"
Ilham Tohti avait été arrêté à Pékin en janvier dernier et incarcéré dans un endroit inconnu. Selon ses proches, l'intellectuel a été enchaîné et privé de nourriture durant de longues périodes pendant sa détention.
Une dizaine de diplomates étrangers s'étaient rendus à Urumqi pour son procès mais s'étaient vu refuser l'accès à la salle d'audience, tout comme la presse internationale. "Ilham Tohti exerçait ses activités dans le respect de la loi chinoise et nous pensons qu'il doit être libéré", avait déclaré à Urumqi Raphaël Droszewski, premier secrétaire à la délégation de l'Union européenne (UE) à Pékin.
Les procureurs avaient montré à l'audience des vidéos des cours d’Ilham Tohti et des commentaires publiés sur son site internet, présentés comme des preuves de son implication dans un groupe séparatiste, avait indiqué l'avocat Li Fangping. Sept de ses étudiants avaient été arrêtés et leurs témoignages utilisés contre lui au procès.
"C'est un très mauvais signal pour les relations entre Ouïghours et Han", l'ethnie majoritaire en Chine. Les Han sont arrivés par millions au Xinjiang ces dernières décennies, a commenté pour sa part Joseph Cheng, professeur à la City University de Hong Kong, selon qui le verdict "reflète les valeurs et le style de l'administration de Xi Jinping", le président chinois.
"Ce verdict honteux n'a aucun fondement réel. Ilham Tohti a travaillé à jeter des passerelles pacifiques entre communautés ethniques", a estimé Amnesty International, ajoutant que "cet affront à la justice" "tourne en dérision les appels du président Xi Jinping à une plus grande compréhension et solidarité entre Ouïghours et Han".
La Chine a connu ces derniers mois plusieurs attentats meurtriers dans des lieux publics, imputés par les autorités à des Ouïghours. Pékin a lancé en réponse une vaste campagne de répression de "l'extrémisme", du "séparatisme" et du "terrorisme", qui s'est traduite par plus d'une vingtaine d'exécutions annoncées officiellement, des centaines d'interpellations, des condamnations de masse suivant des procès expéditifs et des exhibitions publiques de "terroristes".
Avec AFP