À 55 ans, l'ancien chef de la diplomatie turque Ahmet Davutoglu vient d'être intronisé Premier ministre. Il jouit de la confiance de Recep Tayyip Erdogan, qui a fait de lui un poulain redevable. Portrait.
C’est un Premier ministre qui ne fera pas beaucoup d’ombre à Recep Tayyip Erdogan. Fidèle, le dauphin du président turc, Ahmet Davutoglu, a été élu, sans surprise, mercredi 27 août, chef du parti islamo-conservateur (AKP), actuellement au pouvoir. Il sera intronisé chef du gouvernement, jeudi. Sous un tonnerre d’applaudissements, le futur Premier ministre avait pris la parole le 21 août pour assurer le chef de l’État de sa loyauté – et de son entière dévotion.
"Aucune graine de discorde ne peut être plantée entre nous", a-t-il lancé devant un parterre de dignitaires du parti. "C’est un honneur pour moi d’être désigné à ce poste". Ahmet Davutoglu, que l’on reconnaît par son éternel sourire en coin, est visiblement reconnaissant. Il sait que sans la bénédiction de l’actuel président, il n’aurait aucune existence politique.
"Il doit sa place à Erdogan"
"Il doit sa place à Erdogan, il sait donc qu’il lui sera difficile d’aller à son encontre", indique le journaliste turc Andrew Finkel, connu pour ses positions critiques envers l’AKP, à l'antenne de France 24. Davutoglu, ne devrait donc pas, a priori, faire de vagues. "C’est un jeune [en politique], il n’a pas eu assez de temps pour se construire un réseau d’influences nécessaires pour le propulser en avant", analyse de son côté Soli Ozel, professeur des relations internationales à l’université Bilgi d’Istanbul. "Je suis sûr qu’il va vouloir utiliser sa place de Premier ministre [pour se faire un nom] Je suis sûr aussi que le président fera en sorte que cela n’arrive pas".
Et pour cause, Erdogan a déjà laissé entendre qu’il modifierait prochainement la Constitution pour y renforcer les prérogatives de la présidence, jusque-là largement protocolaires, au détriment de l’exécutif. "Il n’est pas le genre d’homme à laisser la gestion du pays à quelqu’un d’autre", rappelle Andrew Finkel. Une mainmise sur le pouvoir que ses adversaires politiques ne manquent pas de railler. "Il me semble que la Turquie est entrée dans l'ère des Premiers ministres marionnettes", a déclaré de son côté, Kemal Kiliçdaroglu, le chef du Parti républicain du peuple (CHP), peu après l'annonce du président.
Un intellectuel, pas un homme d’appareil
Fidèle parmi les fidèles, le Premier ministre a donc peu de marge de manœuvre pour "exister" et s’offrir une nouvelle carrure politique. Né en 1959 dans la province de Konya, Ahmet Davutoglu était un élève studieux. Il a fréquenté le célèbre lycée Istanbul Erkek Lisesi où il a appris l'allemand et l'anglais avant de poursuivre des études d'économie et de Sciences politiques à l'Université anglophone de Bogaziçi.
C’est donc un universitaire, un intellectuel, pas un homme d’appareil. Mais son parcours atypique et sa personnalité d'érudit lui permettent d'attirer l'attention d'Erdogan. En 2001, il séduit l'actuel président avec sa thèse baptisée "Profondeur stratégique", un titre abscons pour un exposé dans lequel il résume son ambition pour la Turquie par une formule qui restera célèbre : "zéro problème avec les voisins". Convaincu par ses écrits, Erdogan le nomme d’abord conseiller diplomatique avant de le hisser au poste de ministre des Affaires étrangères en 2009.
Il devient le maître d'œuvre de la nouvelle diplomatie turque, dite "néo-ottomane", qui a voulu faire de la Turquie une puissance incontournable au Moyen-Orient et dans le monde musulman. Un an plus tard, son activisme, très médiatisé, lui vaut une place de choix dans la liste des "100 hommes les plus influents" de la planète établie par la revue "Foreign Policy" pour avoir redonné à la Turquie "un rang international qu'elle n'avait plus depuis le départ du dernier sultan du palais de Topkapi à Istanbul".
L’échec de la doctrine "Zéro problème avec les voisins"
En 2011, force est de constater l’échec de cette ambitieuse politique extérieure. La faute aux révolutions arabes, surtout. Les liens entre Ankara et ses voisins se détériorent considérablement. La Turquie entretient des relations exécrables avec l'Égypte, la Syrie et Israël, jadis son allié. "Sa doctrine ‘Zéro problème avec les voisins’ qui s’appuyait notamment sur le soutien des Frères musulmans s’est effondrée", explique Jérôme Bastion, le correspondant de Radio France à Istanbul.
La rupture a en effet été consommée avec l'Égypte, après la chute de son président islamiste Mohamed Morsi, et avec la Syrie de Bachar al-Assad, après le début de la guerre civile. Les rapports ne sont pas meilleurs avec l'État hébreu après l'assaut meurtrier de l'armée israélienne contre à un navire turc en 2010 et sa récente offensive sur Gaza. Les années passant, les tensions s’accumulent : Le Caire accuse aujourd’hui Ankara de soutenir les "terroristes" [les Frères musulmans], Damas soupçonne Erdogan d’aider les jihadistes et Israël n’a pas digéré la dernière salve de la Turquie comparant son régime à celui d’Hitler…
Aujourd'hui, la Turquie n'a plus d'ambassadeur dans ces trois pays clés. Même l’Europe semble regarder ailleurs. La candidature turque à l'Union européenne (UE) s'épuise sous les réticences de pays comme l'Allemagne et la France. "La diplomatie de Davutoglu a été un véritable fiasco", résume Jérôme Bastion. Reste à savoir s’il changera de ligne politique au poste de Premier ministre. Rien n’est moins sûr. Ahmet Davutoglu a toujours nié l’échec de sa politique.
Avec AFP