Contre toute attente, le pape s'est prononcé en faveur d'une action collective en Irak dans le but de stopper les jihadistes de l’organisation de l’État islamique. Pourtant, l'année dernière, il s'était opposé au recours à la force en Syrie.
Le pape François a franchi le Rubicon. Lundi 19 août, alors qu'il évoquait la guerre en Irak, le souverain pontife s'est déclaré en faveur du recours à la force. L'évêque de Rome a en effet appelé à une intervention collective de la communauté internationale, sous l’égide de l’ONU, pour "stopper une agression injuste". "Je souligne le verbe : stopper, je ne dis pas bombarder ni faire la guerre" a-t-il précisé dans l'avion qui le ramenait de Corée du Sud. Une prise de position rare de la part de l’Église.
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Le 9 août, dans une lettre vibrante d’émotion, François appelait le secrétaire général de l’ONU "à faire tout ce qui est en son pouvoir pour arrêter et empêcher des violences systématiques ultérieures contre les minorités ethniques et religieuses".
De son côté, l’observateur du Saint-Siège auprès des Nations unies, Mgr Silvano Tomasi, a apporté son appui aux frappes américaines. Selon lui, en plus de l'aide humanitaire "l'action militaire est peut-être nécessaire", a-t-il souligné sur les ondes de Radio Vatican.
Un contraste flagrant
Pour mesurés qu’ils soient, ces mots n’en sont pas moins à rebours de la doctrine de non-violence de l’Église. Ils tranchent surtout radicalement avec la position du Saint-Siège sur la Syrie. Il y a un an, quasiment jour pour jour, alors que la communauté internationale s’interrogeait sur l’éventualité d’une intervention armée contre le régime de Bachar al-Assad, accusé d’avoir perpétré un massacre à l’arme chimique le 21 août 2013, le pape s’était prononcé contre une telle opération. François avait même appelé à une journée de prière dans le monde "pour la paix et contre une intervention en Syrie". À l'époque, cette prise de position politique aussi tranchée du Vatican avait de quoi surprendre.
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Ainsi, entre le "non" de 2013 sur les frappes en Syrie et le "oui" d'aujourd'hui pour l'Irak, le contraste est flagrant. Mais selon John Allen, spécialiste des questions de religions au "Boston Globe", cité par l’AFP, cela ne constitue pas pour autant un réel "changement de la philosophie" du Saint-Siège. "La perception au Vatican, c'est que la réalité présente actuellement est apocalyptique et qu'il n'y a pas d'alternative", explique-t-il. "En 2013, ils avaient jugé que ce qui suivrait un renversement de Bachar al-Assad créérait une situation pire pour les chrétiens. En 2014, qu'est-ce qui pourrait être pire pour eux qu'une victoire de l'EI [Organisation de l'État islamique] ?", observe-t-il.
L'été dernier, tous les évêques de la région avaient recommandé au pape d'empêcher les frappes américaines contre des cibles de Bachar al-Assad. Cette année, comme en écho au président Obama sur les dangers d'un "génocide" visant les minorités irakiennes, les évêques de la région ont alerté le Vatican sur le risque immédiat de massacres. Plusieurs prélats de la région ont appelé à intervenir et ont soutenu les frappes américaines.
La diplomatie vaticane, "sur la voie du renouveau"
S’il est vrai que les situations diffèrent, François Mabille, politologue spécialisé dans l'étude des conflits et en particulier de leurs acteurs religieux, estime toutefois, dans un entretien accordé au magazine "La Vie", qu’il y a là un changement sensible dans la politique du Saint-Siège. Alors qu’en règle générale, le Vatican "se contente de rappeler les grands principes moraux, on passe là du moralisme à la morale internationale. C'est-à-dire que le Saint-Siège ne fait pas que rappeler qu'il faut la paix, le pardon, la réconciliation et le dialogue, ce sur quoi tout le monde est d'accord. Il dit clairement qu'il faut une solution politique qui pourrait impliquer l'option d'une intervention militaire", observe le chercheur au sein du Groupe Sociétés, Religions, Laïcités à l'EPHE (CNRS).
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Selon lui, la diplomatie vaticane est "sur la voie d'un renouveau". "Bien entendu, le Vatican agit conformément à la tradition de l'Église catholique qui est celle de la doctrine dite de la juste guerre", explique François Mabille. "Mais on assiste à une rupture par rapport à vingt ans d'absence de prise de position claire sur le plan international. On peut penser aux appels du pape Jean Paul II en 1992 et 1993 en faveur d'une "intervention humanitaire", en l'occurrence pour les Balkans. Depuis, il y a peu de prises de position de ce type, jusqu’aux récents événements en Irak, où le pape se dit prêt à se rendre.