à Kiev (Ukraine) – À 34 ans, l'Ukrainienne Oxana Chorna, économiste de formation, se rend plusieurs fois par mois sur le front de l’Est pour ravitailler des soldats en lutte contre les séparatistes pro-russes. Portrait d'une patriote qui n'a pas froid aux yeux.
Oxana Chorna finit de charger le véhicule. Des tentes, des uniformes, des chaussures, et surtout de la nourriture et de l’eau. Elle brandit fièrement, un peu comme un trophée, une sacoche "kit de survie" : "Ça y est, j’ai enfin le modèle qu’il leur fallait !". Elle a pu en acheter cinquante.
Après avoir battu pendant des semaines le pavé de la place Maïdan au plus fort des manifestations contre le régime corrompu du président Ianoukovitch, Oxana Chorna, 34 ans, a trouvé un nouveau débouché à son engagement pour une Ukraine souveraine et indépendante. Tous les dix jours depuis fin mai, elle fait des allers-retours entre Kiev et l’est du pays, au plus près des combats contre les séparatistes pro-russes, pour approvisionner une armée qui manque de tout.
"Chaque fois que je vais là-bas, je ne sais pas si je vais revenir"
Avec ses bracelets, ses cheveux ondulés et sa robe longue fleurie, difficile d’imaginer la jeune chercheuse en économie à l’Académie nationale des sciences au milieu d’un bataillon de soldats ukrainiens. Et pourtant. Elle part généralement dans la matinée, conduit jusqu’à Dniepropetrovsk, sa ville d’origine et dort là-bas. Le lendemain, elle se rend à quelques kilomètres de la ligne de front tenue par le 20e régiment de défense territoriale de Dniepopetrovsk, près de Donetsk, et attend qu’une escorte vienne la chercher.
"Je pourrais laisser les vivres quelque part sur la ligne arrière pour qu’ils viennent les récupérer, mais non. Je veux les voir, car ils ne reconnaîtront jamais par téléphone qu’il leur manque telle ou telle chose", explique-t-elle.
Cette fois-ci, exceptionnellement, la jeune femme ne fera pas le trajet avec sa vieille Mitsubischi, mais dans un mini-bus blindé, qu’elle va laisser à "ses" hommes du 20e régiment. Elle a les numéros d’une quinzaine d’entre eux, commandant de section compris, et se fie donc à leurs informations pour s’approcher en minimisant les risques. Une fois sur place, elle reste un ou deux jours avec eux.
"Je suis terrorisée à chaque fois que j’approche…et encore plus quand j’entends les tirs et que j’aperçois les positions ennemies surtout, confie-t-elle. Chaque fois que je vais là-bas, je ne sais pas si je vais revenir. Je n’ai d’ailleurs toujours pas dit à mère ce que je faisais. Mais il faut que je le fasse…"
"Quitte à aider un soldat, autant aider tout le bataillon"
Tout a commencé au printemps, lorsqu’un de ses meilleurs amis, engagé volontaire dans ce régiment, comme la plupart de ses compagnons, lui montre son équipement. "Quand il m’a sorti son uniforme, j’ai compris les conditions terribles dans lesquelles ils se battent pour nous", se souvient l’ex-"Maïdaner", qui n’a jamais été membre d’aucun parti. Mue par un mélange d’instinct maternel et d’élan patriotique, Oxana passe désormais tout son temps à préparer ses convois. " Je me suis dit… quitte à aider un soldat, autant aider tout le bataillon". Soit 300 hommes.
La quantité, c’est toujours le problème, explique-t-elle. Souvent, les commerçants n’ont pas 50 exemplaires de la même paire de chaussures". Lorsqu’elle est à Kiev, Oxana court aux quatre coins de la ville pour aller chercher casques, nourriture ou médicaments. Elle fait par exemple venir de l’étranger du Celox, un produit qui permet de stopper les hémorragies. Elle sait maintenant où il faut aller pour négocier de bons prix.
Les dons affluent sur la page facebook d’Oxana Chorna, suivie par plus d’un millier de personnes. Les dons vont de 2 à 700 dollars par personne. "Chaque semaine, je reçois environ 10 000 dollars, par transferts sur mon compte. Cela permet d’aider 60 à 70 soldats. Mes coordonnées bancaires sont en ligne, même si je sais que ce n’est pas très prudent. Ce ne sont que des amis ou amis d’amis qui donnent."
En six mois, elle estime avoir déboursé environ 2 000 dollars de sa propre poche. "Je ne peux juste pas faire autre chose. De toute façon, je n'arrive pas à me concentrer sur autre chose. Quand je vois les autres Ukrainiens qui continuent leur vie tranquillement alors que nos hommes se battent dans l’Est…je ne comprends pas !"
La jeune femme fait aussi le lien entre les soldats et leurs familles en acheminant les lettres et photos des proches. Elle a même fait imprimer des petites cartes postales pour que les soldats remercient les donateurs et inversement.
Malgré le succès grandissant de sa petite entreprise, Oxana ne se sent pas très confiante en l’avenir : "J’ai l’impression que personne ne comprend que ce conflit ne va pas s’arrêter dans quelques semaines. C’est le début de la Troisième Guerre mondiale tout simplement". À la demande des soldats, Oxana vient juste de commander des uniformes d’hiver...