
Vaincues par le Canada en demi-finale du Mondial de rugby, le XV tricolore féminin a vu s’envoler son rêve de sacre international. Les Bleues comptent toutefois une belle réussite : celle d’avoir mis leur sport sous le feu médiatique.
"C’était l’occasion rêvée pour les filles de faire quelque chose devant leur public", lance, la voix tremblante, Nathalie Amiel, co-entraîneur de l’équipe française féminine de rugby, à l’issue de la défaite de ses protégées en demi-finale de la Coupe du monde 2014, mercredi 13 août. "Mais elles ont fait ce qu’il fallait faire. Et maintenant, elles ont envie de rebondir."
Sur la pelouse du Stade Français, plus précisément au stade Jean-Bouin, à Paris, les Bleues ont bien failli écrire une des plus belles pages de l’histoire du rugby français. Battu d’un rien par le Canada (18-16), le XV tricolore féminin s’est fait stopper aux portes d’une finale qui lui a échappé sur le fil. Après un début de compétition tonitruant qui les a vu battre, sans encaisser un seul essai, le Pays de Galles (26-0), l’Afrique du Sud (55-3) et l’Australie (17-3), les Françaises se sont prises à rêver d’une finale face à l’Angleterre, dimanche prochain. Et, pourquoi pas, d’un titre de championnes du monde…
À défaut de sacre international, les joueuses de Christian Galonnier et Nathalie Amiel peuvent toutefois se targuer d'avoir conquis un trophée qu'elles ne pensaient pas forcément à leur portée : le cœur du public français. Jamais une rencontre de Coupe du monde féminine de rugby n’avait rassemblé autant de monde. Et jusqu’à la dernière minute, les 15 000 spectateurs du stade Jean-Bouin ont encouragé les Bleues, espérant ranimer l’esprit de conquête qui les avait portées jusqu’au dernier carré du tournoi. D'ailleurs, il s’en est fallu de peu pour que le score bascule en leur faveur. Menées 18 à 6 en seconde période, les Françaises sont parvenues, dans le dernier quart d’heure, à inscrire deux essais, que les coups de pied de Sandrine Agricole n’ont malheureusement pas pu transformer.
"Ça change des bourrins que sont les hommes"
"On est forcément déçus, mais on ne peut leur en tenir rigueur car elles ont perdu les armes à la main", estime Millan, jeune supporteur du Stade Français et joueur amateur au sein du club de Puteaux. "On a du plaisir à les voir jouer", s’enthousiasme Philippe, maillot bleu sur les épaules. Parisien d’origine aveyronnaise, ce supporteur du Stade Toulousain avait fait le déplacement jusque dans l’antre du rival Stade Français avec la certitude de "voir un beau match". "Elles ont une spontanéité et une fraîcheur qui changent un peu des bourrins que sont les hommes, commente-t-il. Les messieurs, par exemple, contestent tout le temps les décisions de l’arbitre. Les femmes, elles, offrent quelque chose d’autre : une envie de jouer, une sportivité, un fair-play", constate Roland, fan de rugby et entraîneur de l’équipe cadet de Chilly-Mazarin. "Et, surtout, elles ont fermé le clapet des hommes qui estimaient qu’elles ne jouaient pas très bien".
Pour la buteuse malheureuse, Sandrine Agricole, l'équipe a montré à la France que le rugby féminin, "ce n’était pas que des filles qui se crêpaient le chignon". "On a prouvé que nous étions des grandes dames capables de faire des frappes à 15 mètres".
Avec leur jeu défensif percutant, les Françaises ont su imposer leur marque sur la compétition. Aussi puissant que technique, le XV tricolore abrite en son sein des joueuses au style distinct mais complémentaire. "C’est hyper impressionnant de les voir sur le terrain. Leur jeu est très physique", a pu observer Tégué qui, en tant que sœur de la troisième ligne Coumba Diallo, a assisté à la quasi totalité des matches disputés par l’équipe de France. "Elles ont toutes un physique différent, pas comme les Anglaises qui ont la même physionomie. Camille Grassineau, [forfait pour la demi-finale, NDLR] est petite et rapide, alors que Coumba est beaucoup plus imposante. Dans cette équipe, tout le monde a sa place".
Presque autant que la qualité de jeu, l’esprit du groupe a lui aussi séduit le public. Aujourd’hui sollicitées par des caméras qui les ont longtemps boudées, les Bleues n’ont cessé de répéter leur plaisir de jouer ensemble. "On aime être ensemble, s'entraider. C'est primordial dans le rugby mais encore plus chez les femmes", confie à "L’Équipe" la troisième-ligne Safi NDiaye avant la demi-finale. Un sens du collectif dans lequel se reconnaissent les tenants d’un rugby amateur encore préservé du sport-business.
Promises à un bel avenir
Car, quand elles ne portent pas les crampons, les joueuses du XV de France travaillent comme éducatrices sportives, ambulancières ou encore serveuses. "Le rugby féminin a conservé ce côté amateur qui fait que nous, pratiquants dans des petits clubs, on s’identifie à elles, analyse Millan. Il y a cet aspect humain qu’on ne retrouve peut-être plus dans le rugby masculin."
Malgré la défaite en demi-finale, les aficionados du ballon ovale veulent croire que la performance et l’abnégation des Bleues dans ce Mondial suscitera des vocations. "Elles ont montré une telle force qu’il est certain que des filles vont maintenant aller taper à la porte de clubs pour jouer, espère le jeune joueur de Puteaux. Le rugby souffre d’une pénurie de joueuses, tout du moins en Ile-de-France. Ce serait bien que ce Mondial féminin ait le même impact que la Coupe du monde de rugby de 2007 chez les hommes."
Les Tricolores, elles, ne doutent pas que leur sport bénéficiera de l’effet Mondial. "Nous avons un réservoir de très bonnes joueuses de moins de 20 ans qui sont promises à un bel avenir. Je suis donc sûre que la Fédération de rugby va œuvrer pour nous offrir plus de moyens et plus de structures", veut croire Sandrine Agricole qui, à 34 ans, compte 81 sélections en équipe de France.