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1914-2014 : le Tour de France sur la route du front

Pour le centenaire de 14-18, le Tour de France commémore la Grande Guerre lors de sept étapes. En 1914, la course avait débuté le 28 juin, jour de l'attentat de Sarajevo. Une semaine après l'arrivée, l'Europe s'embrasait.

Après avoir parcouru les routes d’Angleterre, la Grande Boucle retrouve mardi 8 juillet le sol français. Un retour en terre hexagonale marqué par une commémoration inédite pour le centenaire du début de la Première Guerre mondiale. Durant sept étapes, des Flandres aux Vosges, les coureurs du Tour de France vont emprunter les chemins de la Grande Guerre. Sur leur vélo, ils vont passer près de lieux historiques qui résonnent encore un siècle plus tard dans la mémoire collective : Fromelles, Ypres, Péronne, le chemin des Dames ou encore Verdun.

28 juin 1914, départ du Tour de France

Ce parcours sera l’occasion de se plonger, kilomètre après kilomètre, dans les paysages de la "Der des Der". Il permet aussi de montrer l’histoire intimement liée du Tour de France et du premier conflit mondial. Il y a cent ans, l’édition 1914 de la course avait ainsi débuté le 28 juin, le jour même de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, qui entraîna quelques semaines plus tard le déclenchement de la guerre. Alors que le jeune nationaliste yougoslave Gavrilo Princip abattait l’héritier de l’empire Austro-hongrois et son épouse en Bosnie, les coureurs roulaient pour la première étape entre Paris et Le Havre.

"C’est une incroyable coïncidence !", estime ainsi Jean-Paul Bourgier, auteur d’un livre de référence sur le Tour 1914, "De la fleur au guidon à la baïonnette au canon". Professeur d’éducation physique à la retraite, ce passionné de cyclisme a été surpris en découvrant ce hasard de l’histoire. Il a décidé de mettre en parallèle dans son ouvrage le déroulement de la 12e édition de la Grande Boucle et les discussions diplomatiques entre les grandes puissances. Il s’est ainsi rendu compte que le Tour 1914 n’a pas été spécialement perturbé : "Il y a un contraste entre une course qui se déroule normalement, comme la vie du plus grand nombre, où dans les campagnes on finissait les foins et on allait préparer les moissons, et une montée des tensions dans les lieux de pouvoir, qui laissait préfigurer le déclenchement d’un conflit. C’était encore le bel été au mois de juillet, et tout explose à la fin du mois".

Un Tour normal

Pour cette édition 1904, le Tour compte 15 étapes. Les coureurs passent par Belfort, sans savoir que la ville sera sous le feu des combats quelques semaines plus tard. Ils font également halte dans la ville forteresse de Longwy en Meurthe-et-Moselle, en grande partie détruite durant la guerre. Le 26 juillet, lors de l’arrivée à Paris, le Belge Philippe Thys, déjà vainqueur en 1913, s’adjuge la victoire après avoir été en tête au classement de la première à la dernière étape.

Face aux photographes et un grand bouquet dans les bras, il a déjà en tête le prochain Tour. Personne ne se doute des heures sanglantes à venir: "Dans les derniers jours de juillet, il y a eu une publication dans le journal "L’Auto" (ancêtre de L'Equipe, NDLR) du tracé de 1915. De la même manière, Henri Pélissier, qui a fini deuxième de justesse derrière Thys, a annoncé qu’il aurait sa revanche en 1915".

"Mes p’tits gars français"

Mais l’Histoire en décide autrement. Quelques jours seulement après la fin de la compétition, les premiers coureurs rejoignent leurs casernes. Le 3 août, alors que l’Allemagne déclare la guerre à la France, Henri Desgrange, directeur du journal "L’Auto" et fondateur du Tour, exhorte ses protégés à se battre pour leur pays : "Mes p'tits chéris ! Mes p'tits gars français ! Ecoutez-moi ! Les Prussiens sont des salauds… Il faut que vous les ayez, ces salauds-là. Il faut que vous les ayez !".

Après s’être illustrés sur le bitume et les chemins de terre, les champions cyclistes se distinguent dans les tranchées."Ils ont été mobilisés comme les autres, même si pendant le conflit, en 1917 et 1918 notamment, certains d’entre eux ont eu des permissions pour participer à des compétitions", explique Jean-Paul Bourgier. Les rois de la route ne sont ainsi pas épargnés. Sur les 145 partants du Tour de France 1914, 15 vont mourir durant la Première Guerre Mondiale, dont trois vainqueurs de l’épreuve.

Le premier s’appelle François Faber (champion en 1909) surnommé "Le Géant de Colombes". Il meurt en mai 1915 dans le Pas-de-Calais, au cours de la bataille d’Artois. Son corps ne sera jamais retrouvé : "On a loué sa vaillance patriotique au service de la France, dans la mesure où il était Luxembourgeois. Il ne pouvait pas combattre dans l’armée française, il s’est engagé dans la Légion étrangère". Son ancien rival, Octave Lapize dit "Le Frisé" (champion en 1910) périt lui aussi dans le conflit alors qu’il était devenu aviateur : "C’est une histoire tragique. Après avoir été trois fois champion de France avant-guerre, il est abattu au sud de Verdun le 14 juillet 1917. Il va y avoir une récupération de sa mort, devenue un sacrifice patriotique". Six mois plus tard, c’est au tour de Lucien Mazan (champion en 1907 et 1908), plus connu sous le nom de "Petit-Breton", de perdre la vie. "Il décède tragiquement et bêtement. Il était officier de liaison sur le front et sa voiture a percuté un charroi qui était piloté par quelqu’un qui était ivre", décrit l’auteur de "De la fleur au guidon à la baïonnette au canon". Sur un ton prémonitoire, "Petit-Breton" avait d’ailleurs déclaré peu avant sa mort au journal "La vie au grand air" : "Hélas ! À la reprise des vélodromes, combien d’entre nous auront disparu qui étaient la gloire de notre sport ?"

À l'armistice, le peloton est en effet décimé. Jean-Paul Bourgier a répertorié au total 48 coureurs tués entre 1914 et 1918 ayant participé au moins une fois au Tour de France. En 1919, après quatre années d’interruption, la Grande Boucle reprend ses droits et ne manque pas de rendre hommage à ces cyclistes disparus. Nouvel coïncidence de l’histoire, le Tour débute le 29 juin, au lendemain de la signature du Traité de Versailles: "C’est un Tour vraiment symbolique. Il passe pour la première fois à Strasbourg et revient dans la ville de Metz". Alors que la France en ruine se relève à peine, seuls onze coureurs bouclent cette édition sur des routes en bien mauvais état. Le 27 juillet, le Belge Firmin Lambot enfile le tout premier maillot jaune de l’histoire. Deux jours plus tard, dans les colonnes de son journal, Henri Desgrange ne cache pas sa satisfaction. Sa course a survécu : "J'ai ramené mes onze 'poilus' : je peux dire que ce sont de fiers lapins !"