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Adele va-t-elle disparaître de YouTube ?

Plateforme de vidéos devenu site privilégié d’écoute musicale, YouTube menacerait de bloquer les clips d’artistes dont le label refuse d’adhérer à son futur service payant. Exit donc Adele, Arcade Fire ou encore Shaka Ponk ? Pas si sûr...

Coup de tonnerre dans l’univers de la musique en ligne. À en croire les médias, les clips vidéos d’artistes aussi renommés qu’Adele, Artic Monkeys ou encore Arcade Fire seraient menacés de disparition sur YouTube. L’information est venue du "Financial Times" qui, le 18 juin, rapportait des propos de Robert Kyncl, directeur commercial de la célèbre plateforme gratuite, selon lesquels de nombreux interprètes verraient leurs comptes officiels bloqués "dans les jours qui viennent".

Leur faute ? Battre pavillon de labels indépendants ayant refusé de se joindre au futur service de streaming par abonnement de YouTube. Propriété de Google, le site de partage de vidéos prévoit en effet de lancer à la fin de l'été son propre jukebox payant, et concurrencer ainsi Spotify, Pandora et Deezer. Pour ce faire, le site a dû conclure de nouveaux accords avec les maisons de disques déjà partenaires de son service gratuit. Pour l’heure, YouTube se targue d’avoir déjà trouvé un terrain d’entente avec 95 % d’entre elles, dont les majors Sony, Warner et Universal Music.

Multinationales contre indépendants

Selon le "Financial Times", les labels XL Recordings (Adele, Gorillaz, Moby, M.I.A…) et Domino (Anna Calvi, Artic Monkeys, Franz Ferdinand…) ont quant à eux rejeté les conditions tarifaires de YouTube, qu’ils jugent "très défavorables". De fait, pour le Réseau mondial des labels de musique indépendants (WIN), les accords proposés par la plateforme favoriseraient les grands groupes au détriment des structures plus modestes. Même son de cloche en France, où Vincent Frèrebeau, fondateur du label Tôt ou tard ayant le groupe Shaka Ponk comme tête de pont, dénonce une "distorsion de traitement entre les multinationales et les indépendants". Selon un producteur cité par "Les Échos", le taux de rétribution du YouTube en streaming payant serait de 10 % inférieur à celui proposé par Spotify ou Deezer et les majors seraient les seules à bénéficier d’avances sur recettes.

De son côté, YouTube, qui ne souhaite pas encore communiquer sur les termes de ces accords, assure que son nouveau service constituerait une nouvelle source de revenus pour toute l'industrie musicale.

De la musique sans pub

Reste que la "mesure de rétorsion" visant les labels récalcitrants ne risque pas d’affecter l’usage des utilisateurs. Comme l’indique "Télérama", citant une source chez Google, "le blocage ne s'appliquerait pas aux clips eux-mêmes, qui resteraient hébergés par la plateforme, mais aux vidéos publicitaires qui les précèdent" et sur lesquelles artistes, ayant-droit et producteurs sont rémunérés. En clair, il sera toujours possible d’écouter Adele ou The White Stripes sur YouTube mais ces derniers ne toucheraient plus un centime sur les clics générés.

Par ce biais, YouTube entend accentuer la pression sur les maisons de disques récalcitrantes en les obligeant soit à reconsidérer leurs positions, soit à retirer eux-mêmes de la plateforme un contenu qui ne leur rapporte plus d’argent. En janvier 2013, alors qu’il était engagé dans d’âpres négociations avec la Sacem (la société de gestion des droits d’auteurs musicaux en France), le géant américain avait déjà suspendu la diffusion de publicités accompagnant des clips vidéos.

La Commission européenne à la rescousse ?

Face à cette méthode jugée inique, l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (Upfi) envisage de saisir la Commission européenne pour abus de position dominante. Alertée, la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, a qualifié l’attitude de YouTube de "très préoccupante". "Un tel chantage est une menace pour la diversité musicale et pour le développement de nouveaux talents auxquels contribuent largement les labels indépendants", a-t-elle fait savoir dans un communiqué. Aux États-Unis, l'American Association of Independent Music (A2IM) a quant à elle demandé au ministère du Commerce de se pencher sur le "manque de considération de Google envers la diversité culturelle et la créativité".

Selon Marie Soulez, avocate spécialiste du droit de la propriété intellectuelle, les chances qu’une quelconque action contre le site de partage aboutisse sont minimes. "Légalement, YouTube fait ce qu’il veut puisqu’il est chez lui, assure-t-elle à FRANCE 24. Il peut, par exemple, arguer une atteinte à ses conditions générales d’utilisation pour bloquer des vidéos. À part provoquer un scandale, les labels indépendants ne peuvent pas grand-chose."

Techniquement néanmoins, YouTube peut difficilement faire disparaître du jour au lendemain des dizaines de milliers de vidéos musicales sauvagement publiées par les fans des artistes menacés d’expulsion. "Vous pensez sérieusement que toutes les vidéos contenant la musique d’un label refusant d’adhérer au nouveau service de YouTube vont être supprimées ? Ce serait un cauchemar pour la plateforme", écrit le site américain Digital Music News. Si YouTube fait définitivement disparaître les clips officiels d’Adele, les fans de la chanteuse britannique pourront toujours aller dénicher sa chanson "Rolling in the Deep" dans les profondeurs du site.

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Comment YouTube rémunère les artistes ?

YouTube, qui peut accueillir toute œuvre sonore originale depuis 2008, partage les revenus publicitaires des vidéos musicales avec les producteurs, qui eux-mêmes redistribuent une partie des gains aux artistes ou ayant-droits. La plateforme reverse environ 1 euro pour 1 000 "vus". Le site assure avoir donné plus de 734 millions d’euros au monde de la musique depuis son rachat par Google en 2006.

Avec ses plus de 2 milliards de "vus" (le record), le clip "Gangnam Style" a permis à son auteur, le chanteur sud-coréen Psy, de récolter 8 millions d’euros.