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Charia au Brunei : le boycott des palaces Dorchester menace les salariés

Des appels au boycott contre les hôtels appartenant au sultan de Brunei, dont le Meurice et Plaza Athénée à Paris, provoquent des annulations en masse dans ces établissements. Le Brunei a décrété début mai l'application de la loi islamique.

Les montants en jeu sont abyssaux. Le palace parisien Plaza Athénée vient de subir une perte sèche de 400 000 euros après l’annulation, par le joaillier Cartier, des prochaines réservations pour son personnel. Depuis environ un mois, les hôtels de luxe du groupe Dorchester Collection subissent à un boycott de leurs établissements, lancé à l’appel de plusieurs stars de la télévision américaine, comme les présentateurs Jay Leno et Ellen DeGeneres.

Le but de l’opération : protester contre le richissime sultan Hassanal Bolkiah de Brunei, qui possède le groupe Dorchester Collection. Ce petit État situé sur l’île de Bornéo, en Asie du sud-est, a décrété, début mai, l’application de la charia - la loi islamique. La nouvelle régulation prévoit notamment d'amputer les voleurs, de flageller les consommateurs d’alcool ou les femmes coupables d’avortement, ainsi que de lapider les personnes reconnues coupables de crimes divers.

Deux millions d’euros de pertes aux États-Unis

De plus en plus suivi, le mouvement de boycott a déjà provoqué  2,7 millions de dollars (environ 2 millions d’euros) de pertes de chiffre d’affaires pour le seul hôtel Beverly Hills, sur la côte ouest américaine, indique François Delahaye, directeur général de Dorchester Collection, à FRANCE 24. En France, où le groupe hôtelier possède deux établissements de luxe - le Plaza Athénée en rénovation jusqu’à début août et le Meurice - le manque à gagner n’a pas encore été précisément chiffré mais François Delahaye dénombre déjà plusieurs centaines de réservations annulées.

"Dorchester c’est 3 500 employés dont 1 000 en France. Je suis inquiet pour eux", confie le gérant qui estime que, dans cette affaire, "on se trompe totalement d’ennemi". Il assure que le boycott n’a aucun impact sur le sultan qui compte parmi les plus grandes fortunes du monde. “Le gouvernement de Brunei n’est absolument pas affecté dans cette histoire puisque les profits que nous faisons sont réinjectés dans nos hôtels, ils ne reviennent pas au sultan”. Et d’ajouter : "Évidemment, je ne soutiens pas la charia, c’est inhumain. Je suis simplement là pour défendre mon personnel car si le boycott continue à ce rythme, nous allons bientôt devoir licencier."

François Delahaye compte à présent sur la pleine saison pour refaire le plein de réservations et limiter les dégâts. Mais la partie est loin d’être gagnée, l’appel au boycott fait mouche et ses soutiens se multiplient à travers le monde. Dernier en date : le commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht. Il a annoncé sur Twitter, vendredi 30 mai, "soutenir la campagne de sensibilisation contre la loi inacceptable sur la charia, via le boycottage des hôtels Dorchester par de nombreuses personnalités internationales." Il s’agit de l’une des premières figures politiques à avoir pris position publiquement. Avant lui, la très influente star de la mode Anna Wintour avait également approuvé l’initiative, ainsi que le comédien britannique Stephen Fry, qui avaient tous deux leurs habitudes dans les restaurants et les palaces parisiens de Dorchester.

"L’hypocrisie" de François-Henri Pinault

Pour l’heure, un seul Français - et pas des moindres - a annoncé participer au boycott : François-Henri Pinault, PDG du groupe de luxe Kering (Yves Saint-Laurent, Gucci…). "En tant que président de [la fondation] KeringForWomen qui a pour mission de combattre les violences faites aux femmes, je condamne fermement la décision du sultan de Brunei et boycotte ses hôtels", a-t-il averti sur les réseaux sociaux. Il pourrait être rapidement suivi par des célébrités de l’Hexagone, ce que souhaite à tout prix éviter François Delahaye qui dénonce "l'hypocrisie" de l’homme d’affaires français. "Comment monsieur Pinault peut-il décemment appeler au boycott alors que son groupe a des boutiques dans des pays qui appliquent la charia. Je pense notamment à Boucheron qui est implanté au Qatar et en Arabie saoudite. Alors que pour notre part, Dorchester n’a aucun hôtel dans ces pays-là”, se défend-il.

Malgré l'énergie que déploie Dorchester Collection pour stopper l'hémorragie, l'affaire pourrait rapidement prendre de l'ampleur en France. Le groupe n’a pas réussi à entraver l’appel au boycott outre-Atlantique. Le 7 mai, le conseil municipal de Los Angeles, a adopté une résolution sommant le sultanat asiatique de vendre l'hôtel Beverly Hills et ses autres propriétés de la ville, une mesure radicale qui n’est parvenu à calmer le mouvement de colère. Reste à savoir s'il traversera l'Atlantique dans les mêmes proportions que dans la Cité des Anges.

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