Le ministère des Affaires étrangères a récupéré dans son giron le Commerce extérieur et le Tourisme. Le gouvernement veut ainsi relancer les exportations, et pour renforcer son économie, la France veut changer de diplomatie.
C’est une stratégie voulue par le président français mais qui fait grincer des dents Bercy. Lors du récent remaniement ministériel, le chef de l’État français a demandé à Laurent Fabius, son ministre des Affaires étrangères, de contribuer à la réduction du déficit commercial de la France. Et pour ce faire, de rattacher à son ministère les secteurs du Commerce extérieur et du Tourisme, afin de "renforcer l’efficacité" des entreprises françaises sur les marchés internationaux.
Laurent Fabius souhaite depuis son arrivée au Quai d’Orsay, il y a deux ans, faire de la "diplomatie économique" une de ses priorités. "La création d'un pôle international sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères et du développement international permet de franchir une nouvelle étape en renforçant l'efficacité de l'action économique extérieure de l'ensemble des services de l'État", a pompeusement expliqué Romain Nadal, le porte parole du Quai d’Orsay.
Concrètement, cela signifie que les agences de promotion des exportations françaises et des investissements étrangers se retrouvent intégrés au ministère des Affaires étrangères.
Le deuxième réseau diplomatique au monde
La diplomatie française devra ainsi regarder au-delà de ses zones d’influences traditionnelles en Europe, Amérique du nord, Afrique du Nord et de l’Ouest et au Moyen-Orient. En ligne de mire donc, le Brésil, la Russie l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, que l’on appelle aussi les BRICS. Cette zone "représente 60 % de la croissance mondiale", explique à FRANCE 24, Bernard Carayon, ancien député UMP et auteur du rapport "Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale". "Ce sont les moteurs de la croissance mondiale", ajoute ce spécialiste de l’intelligence économique.
Bernard Carayon estime que la France doit tirer avantage du fait qu’elle détient "le deuxième réseau diplomatique au monde" et ce, indépendamment de la couleur politique du gouvernement en place. La récente visite du président chinois Xi Jingping fin mars à Paris illustre bien la volonté des autorités françaises de renforcer ses liens économiques avec les pays émergents. La brève arrestation d’activistes en faveur de la liberté de la presse et le grand nombre de routes coupées n’ont pas manqué de défrayer la chronique en France. Mais en guise de réponse, les autorités ont indiqué que c’était le prix à payer pour conclure des accord importants avec la Chine.
“Lorsque le président Xi Jinping est venu en France et croyez-moi sa visite était extrêmement réussie, elle a été retransmise sur toutes les télévisions chinoises, ce fut un succès tout à fait incroyable. Cela jouera sur un effet d'entraînement colossal. Il y a des choses à faire, notamment en Inde, au Brésil et dans tous ces grands pays", a, de son côté, estimé Laurent Fabius lors de la Rencontre Quai d’Orsay-entreprises le 8 avril.
De même, la visite de François Hollande au Mexique la semaine dernière faisait la part belle aux thématiques économiques. Il avait pour but de préparer le terrain pour les entreprises françaises, qui souhaiteraient investir dans le pays d’Amérique centrale sur les marchés des hydrocarbures ou encore de l’aéronautique. Avec les chiffres record du chômage en France, la diplomatie économique semble de plus en plus apparaître comme un moyen de relancer la croissance et de créer des emplois.
Des exportations en baisse
Reste que cette stratégie doit encore faire ses preuves. Le déficit commercial annuel de la France est resté durant ces trois dernières années supérieur à 60 milliards d’euros et les exportations sont en baisse. "Laurent Fabius est le ministre qui a fait le plus pour mettre le réseau diplomatique au service des entreprises depuis deux ans, mais lorsqu’on lui a demandé à la rencontre Quai d’Orsay-entreprises quels étaient les résultats, il a dit que nous n’étions pas là pour mesurer des objectifs ou des résultats", explique, Ali Laïdi, présentateur de l'émission lntelligence économique sur FRANCE 24 et chercheur associé à l’Iris. "C’est dire que les choses n’avancent pas assez vite", observe-t-il.
Et les chiffres rendus publics lors de la rencontre restent flous. Ils indiquent par exemple que les missions diplomatiques ont contribué de façon significative à la signature de quelque 251 contrats d’une valeur de plus de 10 millions d’euros chacun. Des données qui font piètre figure, comparées à celles du gouvernement américain. "Pour chaque entreprise qu’elles soutiennent, les autorités américaines publient sur Internet la valeur de chaque contrat et le nombre d’emploi créés aux États-Unis", explique Ali Laïdi.
Par ailleurs, si la coopération entre les services diplomatiques, les grandes entreprises françaises et les banques est bien rodée, ce n’est pas le cas pour ce qui est des petites et moyennes structures qui peinent à obtenir le soutien du gouvernement sur les marchés étrangers.
Pour Alexandre Kateb, consultant en commerce international, il est temps de changer de politique. "On est resté trop longtemps dans la diplomatie des grands contrats. Il faut viser les entreprises de taille intermédiaire qui devront se développer aussi bien en France qu’à l’international pour répéter ce qui s’est fait en Allemagne", estime-t-il. Pour remédier à cela, le Quai d’Orsay s’est mis à publier une carte interactive des visites officielles à venir pour permettre aux petites et moyennes enterprises de contacter les ministres avant leur voyage au sujet d’éventuelles coopérations avec le pays en question.
Des hommes d’affaires dans les ambassades ?
Alexandre Kateb salue tous les efforts accomplis pour inclure le monde des affaires dans la diplomatie économique et insiste sur le fait que l’on doit œuvrer encore plus dans ce domaine. "On est toujours dans une logique top-down où c’est l’État qui va impulser", déplore-t-il. "Aujourd’hui, la diplomatie économique a plus de diplomatie que d’économie. Il faut mettre les entreprises en avant", plaide le consultant. "Le changement de périmètre est un faux débat, ce qui est important c’est de mettre les entreprises au cœur du dispositif", poursuit-il encore.
Selon Bernard Carayon, la tradition de ne nommer que des hauts fonctionnaires expérimentés au poste d’ambassadeur pèse également sur la diplomatie économique. "Les ambassadeurs américains dans les pays à fort potentiel sont toujours des hommes d’entreprises. Nos ambassadeurs ne sont jamais des hommes d’affaires", observe l’ancien député.
Parfois, c’est la diplomatie même qui vient entraver les affaires économiques. Ainsi, la position française lors de certaines crises diplomatiques comme sur les dossiers ukrainiens ou syriens par exemple peut présenter des obstacles. "Certains pays ont été en opposition diplomatique avec la France sur le Kosovo, opposés à notre intervention en Côte d’Ivoire ou aux livraisons d’armes aux opposants à Bachar al-Assad, et ce sont les pays où nous devons aller chercher nos marchés", observe encore Bernard Carayon.